Le faucon du siam
un signal de l'assistant du gouverneur, deux
jeunes gens à l'air athlétique s'avancèrent jusqu'à l'arène et un silence
s'abattit sur la foule. Pieds nus, les hommes n'étaient vêtus que d'un pagne et
avaient chacun un bout de corde enroulé autour du poignet. Ils passèrent sous
les cordes et entrèrent dans l'enceinte d'un pas souple. Ils se prosternèrent
vers le gouverneur quelques instants dans cette position de soumission totale.
Puis ils se tournèrent en direction de leur domicile ou de leur lieu de
naissance et, portant les mains à leur visage, touchèrent trois fois le sol
avec leur tête, en hommage aux maîtres et aux parents qui leur avaient transmis
leur savoir. Après une courte prière, chacun regagna son coin pour se livrer au
rituel précédant le combat : une série de pas sur un rythme lent comme une
danse, avec un déhanchement, tout en implorant les puissances qui gouvernent
toute chose de leur venir en aide. Puis ils firent une fois le tour de la
petite enceinte, jetant autour d'eux des regards de défi tandis que cymbales et
tambours se déchaînaient. À chaque coin, ils s'arrêtaient pour baisser la tête
jusqu'aux cordes et piétiner furieusement le sol afin d'écarter tout mauvais
esprit qui pourrait rôder entre les cordes. Ils finirent par se saluer et
regagnèrent chacun leur coin. À peine s'étaient-ils accroupis qu'un certain
nombre de spectateurs se précipitèrent vers les cordes en interpellant
furieusement les deux adversaires.
« Qu'est-ce qui se passe? demanda Ivatt.
— Ça fait partie du pari, expliqua Phaulkon. Les
spectateurs promettent à chacun des boxeurs une part de leurs gains s'il
réussit à battre son adversaire. Ils espèrent que cela lui donnera un regain
d'ardeur. Dans certains cas, des spectateurs font même venir un sorcier pour
affaiblir l'autre champion. »
Phaulkon aimait bien ce sport et avait souvent assisté à
des combats à Avuthia. Il avait expliqué à Ivatt et à Burnaby que, dans la boxe
siamoise, on pouvait donner des coups de poing et de pied à son adversaire, se
servir de ses genoux et de ses coudes, et frapper n'importe quelle partie du
corps. La corde enroulée trois ou quatre fois autour de la main servait de
protection. On n'en autorisait aucune autre, à part le coquillage qui
recouvrait l'entrejambe. Chaque fois que le boxeur touchait une partie du corps
de son adversaire, il marquait un point. La rencontre se terminait quand l'un
des participants était mis au tapis ou s'affalait tout bonnement d'épuisement.
Il y avait aujourd'hui deux juges assis auprès de l'enceinte pour décompter les
points.
Un arbitre, pieds nus et vêtu seulement d'un pagne, fit
son entrée dans l'arène et amena les adversaires au centre. Il s'adressa tour à
tour à chacun d'eux, pour leur rappeler les règles et les exhorter à faire de
leur mieux devant le gouverneur. Puis il sortit de l'enceinte.
Un gong résonna : aussitôt les combattants se jetèrent
l'un contre l'autre, dansant sur leurs jambes pour tenter de frapper leur
adversaire à la tête ou au creux de l'estomac. Un coup droit, un brusque
mouvement du coude : l'un ou l'autre faisait un mouvement d'esquive ou un saut
de côté. C'était très beau à voir. Le rythme de la musique changeait selon le
déroulement du combat, que les talentueux musiciens suivaient de près.
Ivatt avait assisté à de nombreux matchs de boxe à main
nue en Angleterre mais, en comparaison, ces combats européens lui semblaient être
des rencontres brutales. En Angleterre, il arrivait généralement qu'un des
adversaires perde des dents ou ait la mâchoire fracturée, et la rencontre se
terminait toujours par un k.o. Ce qu'il voyait aujourd'hui était également un
combat sans pitié, mais dans un mélange artistique de boxe et d'acrobatie,
exigeant plus d'agilité et d'habileté que de force brutale. Les combattants se
précipitaient, esquivaient et se décochaient des petits coups précis, plutôt
que de s'assener des coups de poing à assommer un bœuf.
Phaulkon avait pourtant prévenu Ivatt : il ne fallait pas
sous-estimer l'impact des coups. Les pieds des boxeurs étaient des armes
redoutables, préparées par des mois passés à marteler les robustes troncs des
bananiers. À la fin de la période d'entraînement, les jarrets et les
cous-de-pied des combattants avaient la dureté du roc. Leur rapidité et leur
agilité étaient poussées jusqu'aux plus extrêmes limites car ils s'entraînaient
à
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