Le faucon du siam
maintenir une bûche en l'air pendant plusieurs minutes grâce à une rapide
succession de coups de pied à droite et à gauche.
Ils étaient en fait d'une incroyable agilité et avaient
un extraordinaire sens de l'équilibre. Par moments, ils pivotaient sur une
jambe. À d'autres, les deux pieds quittaient le sol tandis qu'ils bondissaient
de côté pour décocher un coup. On utilisait plus fréquemment les jambes que les
mains, mais on pouvait se servir des deux. Les combattants étaient souples
comme des singes et ils lançaient leurs jambes en avant comme la langue de ces
lézards qu'Ivatt avait vus attraper des insectes au plafond de sa chambre. Il
jeta un coup d'oeil à Phaulkon, étrangement pensif, l'air lointain. À côté de
lui était assis le Hollandais au visage rougeaud, qui suait sans rien dire dans
sa tenue européenne. Au-dessus de lui, le gouverneur arborait l'expression d'un
incontestable ravissement. À la gauche d'Ivatt, Burnaby regardait le spectacle,
le front plissé, comme s'il pensait davantage à leurs canons qu'à ce qui se
passait dans l'enceinte.
Ivatt estima qu'il était aussi passionnant d'observer la
foule que les boxeurs. Les spectateurs poussaient des hurlements d'approbation
chaque fois qu'un coup touchait au but et prodiguaient aux adversaires leurs
cris et leurs exhortations. Le bruit ne s'atténuait jamais et l'on voyait sans
cesse de l'argent changer de main. Par moments, des spectateurs se levaient et
lançaient à travers l'arène des paris à ceux qui étaient de l'autre côté,
proposant ou acceptant un défi. L'excitation était à son comble. Les femmes
étaient accroupies aux derniers rangs, criant tout autant que les hommes, mais
il n'y avait pas trace des danseuses de la cour du gouverneur.
Quand, au bout du compte, un des garçons se mit à
vaciller sur ses pieds, on déclara son adversaire vainqueur. Un rugissement monta
des spectateurs qui avaient parié sur lui et les autres se turent.
Il y eut ensuite trois autres rencontres. Ivatt
commençait à percevoir les finesses de la boxe siamoise quand les juges
arrêtèrent le dernier combat et se réunirent pour proclamer un champion parmi
les vainqueurs des quatre premiers combats. Ce champion allait maintenant
devoir se planter au milieu de l'arène et accepter tous les défis : mais si
personne ne venait le défier il serait déclaré ultime vainqueur.
Les juges choisirent le vainqueur de la troisième
rencontre, un brillant boxeur au style affirmé, avec des réflexes vifs comme
l'éclair, qui avait envoyé au sol son adversaire : des acclamations montèrent
de la foule. On l'appelait « jeune lion » et Ivatt constata avec plaisir qu'il
aurait également choisi ce combattant. Le « jeune lion » se planta au milieu de
l'enceinte et salua la foule, remerciant les spectateurs de leurs acclamations.
Il attendit, mais personne ne se présenta. Ivatt maîtrisa son envie d'applaudir
— cela ne se faisait manifestement pas au Siam — et regarda les autres.
Le gouverneur poussait des cris ravis, tout comme sa
suite. Phaulkon était assis là, comme dans un rêve. Il y avait quelque chose
dans son expression qui rendait Ivatt soucieux.
Quand celui-ci se retourna vers l'arène, le rugissement
de la foule se tut brusquement et un silence de mort s'installa. On aurait dit
que Sa Majesté le roi en personne venait soudain de faire son apparition.
Phaulkon avait ôté sa chemise et, sans un mot, se
dirigeait vers l'enceinte. Ivatt et Burnaby échangèrent des regards incrédules.
Phaulkon faisait maintenant signe au champion de rester
où il était : quelques instants plus tard, il enjambait les cordes pour
pénétrer dans l'arène. Le silence était impressionnant. Le champion le
dévisageait, surpris, ne sachant trop comment réagir. Phaulkon se tourna alors
vers l'arbitre non moins stupéfait et, d'un geste expressif, posa ses mains sur
son entrejambe. Il demandait la protection à laquelle il avait droit. L'arbitre
le dévisagea un moment, comme abasourdi, puis reprit ses esprits. Un murmure
monta de la foule qui comprenait soudain ce qui était en train de se passer.
L'arbitre passa sous les cordes et fouilla dans le sac de
toile qu'il avait laissé à la garde des juges. Au bout d'un moment, il en tira
un coquillage de belle taille et un morceau de cotonnade auquel était attachée
une cordelette. Il revint vers l'arène et proposa la coquille à Phaulkon tout
en le saluant. Celui-ci examina le coquillage, le
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