Le faucon du siam
naissance ?
— Non, le premier, le troisième et le cinquième deviennent
la propriété du maître. La plupart des bouddhistes traitent les esclaves de
manière charitable : ils sont bien soignés. Certains choisissent même de rester
après s'être acquittés de leur dette, d'autant plus que l'esclavage leur évite
les six mois par an dus au service du roi.
— Et tous les esclaves peuvent se racheter?
— Non, pas ceux qui ont été acquis directement ou
ceux qui ont été capturés à la guerre. Contrairement aux esclaves pour dette,
eux et leurs enfants sont à jamais asservis et dépendent totalement de la bonne
volonté du maître.
— Alors, si je parie contre un de ces types et que
je gagne, je peux le garder pour la vie ?
— S'il n'arrive pas à rembourser sa dette, oui. »
Phaulkon sourit. « Mais si vous perdez, le pauvre diable vous aura sur les
bras. Quel triste destin ! Se retrouver avec un esclave aussi peu docile que
vous ! »
Ivatt se mit à rire. « Ça pourrait lancer une nouvelle
mode. Posséder un esclave farang représenterait alors le fin du fin! J'aimerais
bien que nous puissions parier un peu, ajouta-t-il d'un ton nostalgique, mais
je n'ai pas un sou. À la réflexion, c'est notre cas à tous. Vous croyez que
Nez-Plat pourrait nous faire crédit? Il pourrait empocher la moitié de nos
gains.
— Ça pourrait l'amuser de voir un farang perdre sa
chemise. Mais peut-être pas avec son argent, dit Burnaby, qui avait fini par
renoncer à faire poliment la conversation au Hollandais.
— Si j'avais su qu'on utilisait ici les coquillages
comme monnaie, j'en aurais apporté de chez moi. La côte du Yorkshire en est
jonchée. Je serais riche comme un mandarin, lança Ivatt.
— Thomas, je crois qu'on vous aurait arrêté pour
contrefaçon, répliqua Phaulkon. Ils utilisent ici une espèce particulière de
coquillages, importés des Maldives et des Philippines.
— Je vais devenir fou à voir tous les autres parier.
Imaginez que vous alliez aux courses en Angleterre sans un penny en poche.
Combien y a-t-il de rencontres, au fait?
— Je l'ignore, dit Phaulkon. Mais à Ayuthia les
champions passent à la fin et rencontrent les vainqueurs des premiers combats.
Il y a même des spectateurs qui sautent dans l'arène pour défier un vainqueur.
Cela ajoute à l'excitation et au caractère imprévisible de la rencontre. »
Leur conversation fut interrompue par l'apparition d'un
homme robuste et trapu, à la tête carrée et aux cheveux coupés en brosse, qui
dévisagea d'un air peu amène les farangs avant de les bousculer pour passer.
C'était rare pour un Siamois de se montrer discourtois envers des inconnus,
surtout des étrangers; ce comportement inhabituel frappa Phaulkon. Il y avait
chez cet homme quelque chose de menaçant : une présence hautaine et glaciale
qui fit frissonner le Grec. L'aspect physique de l'homme ne faisait que
souligner cette impression. Il était bâti comme un taureau, avec un cou épais
et court, des bras et des jambes musclés au point d'en être pratiquement
déformés. A un moment, ses petits yeux au regard venimeux fixèrent ceux de
Phaulkon et un sourire méprisant se dessina sur ses lèvres. Il considéra
longuement les farangs l'un après l'autre, puis son regard revint à Phaulkon.
Comme s'il avait décidé que c'était lui qui méritait le plus son mépris. À le
voir, on aurait dit qu'il examinait un poisson au marché.
« Je ne voudrais pas avoir affaire à cette brute, observa
Ivatt. Dieu merci, c'est vous qu'il a à l'œil et pas moi, Const... »
Le gaillard se retourna vers Ivatt avec une telle
violence que les mots se figèrent dans la bouche du petit homme. Il regarda
autour de lui d'un air penaud, craignant soudain qu'on ne l'eût compris.
Lançant un dernier regard noir, l'homme tourna les talons et s'éloigna. Ils le
virent en silence se fondre dans la foule.
«Qui était-ce donc? demanda Ivatt, encore tout secoué.
— C'est peut-être lui qui est chargé de retrouver
notre navire, suggéra Burnaby, tout aussi démonté.
— Espérons que nous n'aurons pas à le revoir »,
ajouta Phaulkon. Il fut soulagé quand il entendit sonner un gong et put de
nouveau tourner son attention vers l'arène.
Un orchestre de quatre musiciens s'était mis à jouer :
une flûte de Java aux notes grêles, deux tambours de taille identique mais à la
sonorité différente et une paire de cymbales de cuivre. L'excitation de la
foule monta.
Puis, sur
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