Le faucon du siam
retourna entre ses mains et secoua
la tête. Puis il désigna son entrejambe et décrivit par gestes un coquillage
beaucoup plus gros. Des éclats de rire jaillirent de la foule et, quand
Phaulkon sourit à son tour, on l'acclama follement. On entendait en particulier
la clameur de cris ravis : « Le farang en veut un plus gros! Le farang a besoin
d'un plus grand coquillage! » Le gouverneur devait être enchanté, se dit
Phaulkon avec satisfaction. Si je ne me fais pas tuer dans l'affaire, je
pourrai peut-être lui demander un ou deux services. Il sentait son estomac
noué, mais ne cessait de se répéter que c'était la meilleure chance de faire
pencher en sa faveur la décision du gouverneur. De toute façon, il était
maintenant trop tard pour faire marche arrière.
Il se demanda avec appréhension dans quelle mesure son
expérience des combats dans la marine allait lui servir contre ces athlètes
souples comme des démons. Certes, il avait remporté quelques championnats, et
contre des adversaires assez coriaces, mais il s'agissait ici d'un tout autre exercice.
Ces boxeurs étaient plutôt des acrobates capables de donner des ruades comme un
cheval. Il était bien plus grand et bien plus lourd que son adversaire, il s'en
rendait compte : mais l'issue du combat dépendrait beaucoup pour lui de la
possibilité de décocher des coups assez violents.
L'arbitre revenait maintenant avec un coquillage beaucoup
plus grand. La foule cria son approbation tandis que Phaulkon le disposait
entre ses cuisses et hochait la tête d'un air satisfait. L'arbitre recouvrit le
coquillage du morceau de cotonnade qu'il avait apporté et l'attacha solidement
avec une cordelette. Puis il enroula un bout de corde autour des poignets de
Phaulkon et, après un salut respectueux, se retira.
Phaulkon porta alors les mains à son front et, se tournant
vers le gouverneur, se prosterna profondément à la siamoise. Un murmure
parcourut la foule. Le gouverneur joignit les mains devant son visage et lui
rendit son salut avec un grand sourire. Le trône surélevé de mandarin n'était
qu'à quelques mètres de l'arène et l'espace devant lui était dégagé pour que
rien ne vînt gêner la vue. Même à cette distance, Phaulkon crut lire une
expression de ravissement sur le visage de Son Excellence. Ivatt et Burnaby
poussaient des acclamations et faisaient de grands gestes dans sa direction; le
Hollandais demeurait morne et silencieux.
Phaulkon se tourna tour à tour vers chaque partie de la
foule et la salua. On lui répondit par un déchaînement d'enthousiasme et des
vivats, les gens criaient et tapaient des pieds. Il remarqua alors quelque
chose d'insolite. Tous les paris avaient cessé. Impossible d'estimer les
chances et personne n'osait prendre de risques sur l'issue du combat. Ils
allaient bientôt se guérir de leur hésitation, songea-t-il avec un sourire
amer, dès qu'ils l'auraient vu se battre.
Il aperçut brièvement le mandarin glisser quelques mots à
l'oreille du Palat : celui-ci s'approcha alors des farangs et leur mit quelque
chose dans les mains. De l'argent! On leur donnait de l'argent pour parier! Sur
qui allez-vous le mettre, salopards? se demanda-t-il. Et toi, Van Risling? Je
parie que je sais qui tu vas soutenir. Il vit alors le mandarin plonger la main
dans sa bourse et remettre au Palat une poignée de pièces en lui murmurant
quelque chose. Phaulkon aurait donné n'importe quoi pour savoir ce qui se
disait à cet instant.
Il s'agenouilla et fit à trois reprises le signe de
croix. Le spectacle du rituel farang parut plaire à la foule. Une nouvelle
rumeur la parcourut, comme si cette étrange mimique était justement ce qu'elle
espérait. Le «jeune lion», qui tout ce temps était resté accroupi dans son coin
sans rien dire, se livr a de nouveau à son rituel, l'air toujours surpris par
ce qui arrivait.
L'arbitre amena alors les adversaires au milieu de
l'enceinte et leur fit signe, omettant toutefois de leur prodiguer les
exhortations habituelles. Un coup de gong retentit. Phaulkon sentit son estomac
se crisper, et le silence tomba sur l'assemblée.
Le Siamois avança prudemment et tourna un moment autour
de Phaulkon. Auprès du farang, il paraissait petit et sec, mais il était
musclé, et Phaulkon savait à quel point il était terriblement agile. Son torse
nu luisait de l'huile de coco qu'on venait de lui appliquer. Ses cheveux noirs
étaient coupés très court et il portait un bandeau blanc autour du
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