Le faucon du siam
front.
Phaulkon devait lui sembler un géant : large d'épaules avec une bonne allonge
et une tête et demie de plus que lui.
Phaulkon l'observa attentivement, décrivant avec ses
mains de petits cercles devant lui, le bras gauche précédant le droit. Cela
parut surprendre son adversaire qui décida d'approcher et de tenter un coup de
pied. Sa jambe gauche se détendit pour venir s'enrouler autour de la taille de
Phaulkon. Celui-ci sentit dans ses côtes le pied de l'homme, dur comme la
pierre, mais le « jeune lion » n'enchaîna pas. Il restait hors de portée de
l'allonge de Phaulkon. Celui-ci estima que l'homme aurait du mal à le frapper
au visage en raison de sa taille, dont il n'avait pas l'habitude. Le « jeune
lion » visa alors plus bas. Il donna un coup violent du pied gauche et toucha
Phaulkon à la cuisse. Celui-ci ne cessait de l'observer attentivement, tournant
toujours les bras devant lui, attendant de l'avoir à sa portée. Peu à peu le
Siamois s'enhardit. Il approcha plus près cette fois et décocha une série
rapide de coups de pied sur les jambes et les côtes de Phaulkon. Ce dernier ne
réagissait toujours pas.
Puis, soudain, le Siamois fonça comme l'éclair, levant le
genou pour frapper Phaulkon au plexus solaire. Mais un poing se détendit et
heurta avec un bruit sourd la mâchoire de l'attaquant qui fut catapulté en
arrière et se retrouva sur l'herbe, étourdi. Un cri monta de la foule. Phaulkon
lui aussi avait le souffle coupé : il se penchait en se tenant l'estomac. La
fièvre des paris reprit soudain avec ardeur, comme
si les spectateurs s'efforçaient de rattraper le temps
perdu. L'arbitre ordonna à Phaulkon de reculer tandis que le Siamois, assommé,
essayait de se relever. Un spectateur bondit dans l'arène et se proposa pour
frictionner les jambes de Phaulkon avec de l'huile de coco. Ivatt alors se
précipita, arracha le flacon des mains de l'homme ahuri et se mit à masser
lui-même Phaulkon.
« Bien joué, Constant, dit-il en lui massant les jambes.
Nous sommes à fond avec vous. Mais, au nom du Ciel, faites attention. Nous
avons joué de l'argent sur vous. Le gouverneur est excité comme un gosse dans
une confiserie. Je crois qu'il envisage de vous décorer. Vous vous en tirez à
merveille. Continuez. »
L'arbitre ordonna à Ivatt de quitter l'enceinte et
Phaulkon eut le temps de lui jeter : « Il va falloir que j'essaie un coup de
pied ou deux. Pour sauver les apparences. Empêchez-les de rire de moi si je
tombe.
— Je me chargerai d'eux s'ils font ça », cria Ivatt en
enjambant les cordes.
On lançait maintenant des paris de tous les côtés et
Phaulkon ne pouvait s'empêcher de se demander en faveur de qui penchait
l'opinion. Le « jeune lion » s'était relevé. La musique monta en crescendo
tandis qu'il sautillait d'un pied sur l'autre pour retrouver son équilibre.
Sans crier gare, il fonça comme un boulet de canon, tout en se penchant. Une
série de coups de pied se mit à pleuvoir sur Phaulkon et des élancements
douloureux lui traversèrent le corps. À peine avait-il esquivé un coup que son
adversaire en décochait un autre ailleurs, filant comme une mouche chaque fois
qu'il essayait de riposter. Déterminé à arrêter le massacre, Phaulkon prit un
grand élan avec sa jambe droite, perdit l'équilibre et atterrit carrément sur
les fesses. Le public tout d'abord resta silencieux, puis quelques spectateurs
se mirent à rire et bientôt toute l'assistance fut secouée d'une gaieté sans
retenue. Mais il fallait leur rendre cette justice : à peine Phaulkon, l'air
penaud, mais calmé, s'était-il relevé que la foule l'encouragea de nouveau.
En un instant le « jeune lion » fut de nouveau sur lui.
Mais cette fois Phaulkon eut la sagesse de ne pas utiliser ses jambes. Les
coups lui faisaient mal et il en amortit autant qu'il put. L'homme se servait
de ses pieds plutôt que de ses mains en raison de l'allonge supérieure de
Phaulkon et celui-ci savait que, s'il voulait avoir une chance, il devait
attirer son adversaire plus près. Soudain le « jeune lion » inclina le corps
comme pour lancer sa jambe de côté mais, à la dernière minute, il changea de
direction et décocha son pied en avant, droit dans l'entrejambe de Phaulkon.
Sous le choc, le coquillage entailla douloureusement le bas-ventre de Phaulkon.
Le Grec se mit en colère.
Abandonnant toute prudence, il chargea, esquivant et
feintant, évitant les coups de pied et passant sous la garde de son
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