Le faucon du siam
toute occasion les astrologues et à régler sa vie
conformément à leurs prédictions. »
Phaulkon ne pouvait que compatir aux problèmes du
jésuite. Ça ne devait pas être facile pour lui. Mais, au fond, pourquoi tenter
de convertir ces gens parfaitement heureux de leur sort ?
Un jeune Malais attendait Phaulkon à l'entrée de la salle
d'audience. En l'apercevant, le garçon s'inclina et s'adressa à lui dans un
hollandais hésitant mais compréhensible.
« À la demande de Son Excellence le gouverneur, on m'a
fait venir de la factorerie hollandaise pour vous servir d'interprète,
monsieur. Mon maître, M. Joop, m'a prié d'exprimer ses regrets au gouverneur de
n'avoir pu venir en personne. Il ne se sent pas très bien. » Le garçon
s'inclina encore et précéda Phaulkon dans la salle d'audience.
Phaulkon grimpa les marches du perron et s'arrêta devant
les lourds panneaux de teck qui constituaient la porte. Il pria pour que les
superstitions dont le père Morin déplorait si fort l'existence puissent lui
servir en cette occasion. Il prit une profonde inspiration, s'efforça de
maîtriser la douleur qui l'habitait et entra. Il s'arrêta sur le seuil pour
regarder devant lui. La Cour tout entière était de nouveau rassemblée,
étince-lante de joyaux et en grande tenue de cérémonie. Il aperçut Sunida qui
le regardait, l'air fier. Dans ce cadre, assis en tailleur sur de somptueux
tapis persans et entourés de la magnifique collection de porcelaines Ming de
Son Excellence, les courtisans offraient un spectacle encore plus éblouissant
que celui de la veille pour accueillir l'éléphant blanc.
Phaulkon se prosterna sur le pas de la porte et rampa
péniblement sur ses genoux et sur un coude en direction du gouverneur :
celui-ci était assis comme d'habitude au-dessus des autres et il l'observa un
moment en silence. Quand il parut satisfait, il s'adressa à l'interprète.
« Il n'a pas échappé à notre attention, monsieur
Phaulkon, que votre visite ici a apporté bien des honneurs à ma province. Mes
astrologues m'ont en outre assuré que votre arrivée chez nous n'était pas un
simple accident. La découverte du plus noble des animaux peu après que mon
peuple vous eut sauvé de la mort est un présage que l'on ne saurait négliger. »
Le mandarin marqua un temps. « Indépendamment de tels auspices, votre bravoure
dans l'arène m'a personnellement procuré un grand plaisir. Il n'y avait pas de
honte dans votre défaite. Tout au contraire, vous vous en êtes remarquablement
tiré contre l'un des meilleurs boxeurs que j'aie jamais vus. J'ai cherché à
savoir qui il était, mais il a disparu aussi discrètement qu'il était arrivé.
Il n'était pas d'ici. » Un léger sourire plissa les lèvres du gouverneur. « Si
je puis me permettre ce conseil, vous devriez travailler votre coup de pied. »
Phaulkon s'apprêtait à répondre mais le gouverneur
poursuivit.
« Il est en mon pouvoir d'accorder certains honneurs à
ceux qui ont bien servi ma province. Bien que vous soyez un farang, je ne vois
pas en quoi cela vous en priverait. Mon pays a toujours honoré ceux qui lui ont
rendu service, quelle que soit leur origine.
« J'ai préparé aujourd'hui une dépêche pour Son
Excellence le Pra Klang d'Ayuthia et l'on vient de lui envoyer un rapport
complet sur vos activités. » Le gouverneur s'arrêta pour laisser le Malais
interpréter : mais Phaulkon n'écoutait même pas la traduction. Une dépêche au
Barcalon! Une recommandation pour celui qui était probablement le plus haut
fonctionnaire du pays! Peut-être avait-il perdu ses précieux canons, mais voilà
qu'on lui offrait sans doute un autre moyen de parvenir à son but! Pourrait-il
obtenir par la persuasion ce qu'il n'avait pu se procurer par la contrebande?
Existait-il après tout encore une chance de charger les cales de Sam White? Il
avait près de trois mois devant lui. La voix du gouverneur, sur un ton plus
solennel que jamais, vint interrompre ses pensées.
« En ma qualité de gouverneur et de premier représentant
de Sa Très Gracieuse Majesté dans la province royale de première classe de
Nakhon si Tham-marat, je décore par la présente M. Kosatanine Forcone de
l'ordre de l'Eléphant blanc de troisième classe. »
À l'annonce d'une telle distinction un murmure monta de
la Cour assemblée. Phaulkon était sans voix. L'ordre de l'Éléphant blanc de
troisième classe ! C'était la plus haute récompense qu'un gouverneur de
province avait
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