Le faucon du siam
de la concubine circas-sienne de
Perse : celle aux yeux verts qui avait séduit le second page de la chambre à
coucher royale, âgé de onze ans. Pour leur châtiment tous deux avaient rôti à
la broche. Mais voilà qu'elle avait prêté serment, sous peine de mort pour elle
et pour ses proches, de n'en souffler mot à personne : dans des affaires de
cette importance, il fallait toujours prendre au sérieux les menaces du
Seigneur de la Vie.
D'instinct, Thepine se caressa les hanches en marchant :
elle sentait leur balancement rythmé et savourait la séduction du mouvement.
Avec les années, le plaisir qu'elle tirait des regards insistants des femmes
quand elle passait était toujours le même : à trente-deux ans, elle savait
qu'il n'y avait guère au palais une femme qui ne fût prête à se séparer de ses
biens les plus précieux pour venir s'allonger sur sa couche.
Tout en regagnant ses appartements, par les couloirs qui
descendaient toujours plus bas, elle effleurait de la main sa taille étroite,
suivant les élégants contours de ses hanches jusqu'aux cuisses fermes, et elle
songeait à sa nouvelle mission. Quel honneur Sa Majesté venait de lui conférer.
Former une femme aux arts de l'amour, lui inculquer des manières exquises et
les techniques les plus raffinées de la séduction! Elle se revoyait dans la
chambre royale quand, prosternée, elle avait écouté les instructions de son
souverain.
« On nous dit que cette fille a une grâce et une ardeur
naturelles. Mais elle vient d'une province du Sud : jamais on ne l'a initiée
aux manières de la grande ville. Tu vas développer cette grâce naturelle,
embraser cette ardeur jusqu'à ce que sa flamme soit brûlante. Tu vas lui
transmettre tout ce que tu sais, sans rien omettre, lui enseigner tous les
artifices que tu connais. L'homme à qui elle prodiguera ses attentions doit
être pris dans un filet dont il ne saurait s'échapper. » Le Seigneur de la Vie
avait marqué un temps. « Comme nous-même, la première fois où nous t'avons
rencontrée, Thepine. » Il était interdit de relever la tête, mais elle sentait
sur elle le sourire de Sa Majesté. Le Seigneur de la Vie était si gracieux.
C'était vrai, songeait-elle maintenant, tout en franchissant
le dernier poste de garde tenu par des eunuques, à l'entrée des appartements
royaux. Elle, Thepine, était sans rivale. Ce n'était pas un mince exploit que
d'être devenue la favorite du Seigneur de la Vie et d'avoir conservé près de
vingt ans cette position : non seulement devant les nombreuses filles de bonnes
familles qu'on lui envoyait des quinze grandes provinces et des trente-quatre
autres, mais face à toutes les sirènes venues de Queda, de Jambi, du Laos, de
Pattani et du Cambodge, ainsi que des nombreux États vassaux dont les princes
cherchaient à lui plaire. Tout comme elle-même s'était efforcée de le faire dès
le début. Certes, la nature l'avait dotée de qualités rares. Elle n'avait pas
mis longtemps à découvrir que son visage, avec ses pommettes hautes, son nez
délicat et son petit menton, était d'une symétrie
parfaite, que ses yeux au regard sombre et séducteur
promettaient à qui les regardait tout un monde de plaisirs. Elle sourit toute
seule en se rappelant l'un de ses premiers admirateurs : il lui avait dit que,
lorsqu'elle ouvrait la bouche, on s'attendait à l'entendre ronronner et non
parler. Les dieux, avait-il insisté, avaient assurément fait une confusion
entre une incarnation humaine et une incarnation féline.
Sans une ride sur son visage, avec des seins fermes et
rebondis, Thepine savait que même aujourd'hui, à un âge que la plupart des
femmes considéraient comme avancé, elle pouvait faire tourner la tête d'un homme
plus vite que n'importe laquelle des jeunes créatures qui croyaient le monde à
leurs pieds. Sa Majesté, qui avait déjà bien entamé son quatrième cycle, la
faisait appeler régulièrement : même si, il est vrai, c'était juste pour
discuter d'un point de politique de la Cour ou de quelque autre affaire. Elle
eut un sourire ravi. La faveur de Sa Majesté excitait toujours l'envie et le
dépit des plus jeunes courtisanes.
Qu'avait dit exactement le Seigneur de la Vie? « Bien que
nous ne soyons plus dans notre prime jeunesse, nous tenons à nous assurer que
tes talents, Thepine, ne vont pas se perdre. Et qu'ils continueront à rendre
service à la nation. »
Sa Majesté lui avait donc révélé l'aspect le plus
stupéfiant de
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