Le faucon du siam
sa mission. Le détour inattendu qui ajoutait tant d epices à la
tâche qu'il lui avait confiée.
« Et, Thepine, fais bien attention. Cette fille que tu
vas former est destinée à servir un farang. Tu garderas cela pour toi. Mais tu
vas tenter de découvrir si ces Européens ont des goûts particuliers. Renseigne-toi.
Il doit bien y avoir des rumeurs. »
Thepine avait rougi et remercié le Seigneur Bouddha
d'avoir le visage bien dissimulé derrière ses mains, hors de la vue de Sa
Majesté. Un farang, se répéta-t-elle, abasourdie. De qui pouvait-il donc
s'agir? Et pourquoi? C'était sans précédent! Car, même si un farang était assez
important pour qu'on l'espionne, comment pouvait-on se charger d'une telle
mission sans comprendre un mot de leur langue? À
plus forte raison quand il s'agissait d'une petite dinde
tout juste arrivée du Sud !
Elle approchait de ses appartements. Sa petite esclave,
Nong, accourut à sa rencontre, se prosternant dans le couloir. « Pardonnez à
votre petite souris, ma Dame, mais Sa Majesté, la reine princesse, était ici en
personne. Elle désire vous voir de toute urgence. »
Thepine sentit son cœur battre plus vite. « Semblait-elle
avoir besoin de quelque chose? D'un service peut-être, d'une faveur? »
Peut-être était-ce le moment qu'elle attendait.
« Petite souris ne saurait pas ces choses-là, ma Dame,
mais Sa Majesté avait assurément un air anxieux.
— Alors va chercher dans la cuisine un couteau bien
aiguisé, Nong. Reviens vite dans ma chambre. Ne dis rien à personne. Et
dépêche-toi. »
Oh non, songea petite souris qui partit en courant. Cela
ne va pas recommencer. Je déteste ça. Voilà des mois que... Et moi qui croyais
que ma Dame avait cessé...
Apeurée, elle se glissa par une porte entrebâillée de la
cuisine et, profitant d'un moment où les cuisiniers lui tournaient tous le dos,
elle s'empara d'un couteau qu'elle glissa dans les plis de son panung. Puis, à
contrecœur, elle regagna les appartements de sa maîtresse. Thepine avait déjà
relevé le panung au-dessus de son genou et, assise en tailleur, elle tenait à
deux mains son genou gauche.
« Apporte le couteau », ordonna-t-elle. Nong approcha
timidement. « Maintenant, petite souris, tu ne vas pas me faire mal plus qu'il
n'est nécessaire, n'est-ce pas?
— Oh non, ma Dame, dit Nong en essuyant sur son
front une goutte de sueur.
— Alors, souviens-toi : fais une entaille profonde
dès la première fois et tu n'auras pas à t'y reprendre. Plus souvent tu devras
recommencer, plus cela me fera mal. Sois brave. Et fais-la au même endroit que
la dernière fois.
— Oui, ma Dame », fit Nong d'une voix tremblante.
Elle remarqua vaguement que la blessure précédente avait
presque totalement cicatrisé. Elle essaya de se consoler en se disant qu'il en
serait de même cette fois. Puis elle posa la pointe acérée du couteau juste
au-dessus du genou, là où subsistait encore une légère cicatrice. Elle ferma
les yeux et fit glisser la lame sur le côté en appuyant aussi fort que son
courage défaillant le lui permettait.
Thepine poussa un petit cri. Le sang jaillit de la
blessure, ruisselant sur la jambe jusqu'au pied. Une tache sombre bientôt
s'étala sur le parquet autour de Thepine. Nong se sentait sur le point de
défaillir.
« Vite, la serviette », cria sa maîtresse. Nong, au bord
de la syncope, courut chercher une serviette accrochée à la barre de bambou
fixée au mur. Puis, d'une main tremblante, elle la noua autour du genou de sa
maîtresse. Le coton eut tôt fait de s'imprégner de sang et la petite esclave se
demanda avec angoisse si cette fois-ci elle n'avait pas appuyé trop fort. Elle
se précipita pour prendre une autre serviette qui à son tour se teinta de rouge
vif. Ce n'est que lorsqu'elle en eut appliqué six l'une après l'autre que le
flot de sang finit par se tarir. Nong était proche de la nausée et elle dut
faire tous ses efforts pour ne pas être prise de haut-le-cœur devant sa
maîtresse.
« Merci, petite souris. Je sais que ce n'est pas agréable
pour toi, mais je ne me fie à personne d'autre et je n'ai pas le courage de me
le faire moi-même. Oublie ce que tu as vu et tu seras bien récompensée.
Maintenant, je m'en vais rendre visite à la princesse.
— Faut-il que je vienne avec vous, ma Dame? Serez-vous
assez bien? » demanda Nong avec inquiétude. Thepine fut émue : elle sentait que
la sollicitude de la fillette était sincère.
«
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