Le feu de satan
Framlingham dérange. Le manoir est fortement défendu, certains lieux tenus sous bonne garde. Et puis, il y a toute cette violence : l’étrange crime sur la route d’York, les attentats contre le roi et contre moi, le meurtre de Reverchien et enfin la mort de Peterkin, le pâtissier. Vois-tu une quelconque logique à tout cela, Ranulf ?
— Celle-ci, seulement. Là où se trouvent Jacques de Molay et ses commandeurs, le malheur frappe. Ces faits n’ont ni queue ni tête. La plupart des criminels sont poussés par des motifs bien précis. Naturellement, des dissensions pourraient exister au sein de l’ordre, ou bien un groupe rebelle qui s’adonnerait à la magie noire. L’un ou même tous les commandeurs, voire le grand maître, voudraient, peut-être, se venger des rois de France et d’Angleterre.
— Mais cela n’explique pas, souligna Corbett, le crime de la route d’York et la mort de Peterkin. Pourquoi tuerait-on par le feu un pauvre pâtissier ? Et surtout, qu’est-ce qui provoque ces brasiers inouïs ?
Ranulf se mit à arpenter nerveusement la chambre.
— Vous venez de dire qu’à chaque phénomène naturel correspondait une cause naturelle. Mais qu’advient-il si ce n’est pas naturel ? Les gens ne prennent pas feu spontanément !
Corbett hocha la tête.
— J’entends bien, Ranulf ! Et je pense que c’est ce qu’on veut nous faire accroire.
— Mais comment est-ce possible ? insista Ranulf. C’est vrai, les templiers se trouvaient à York lorsqu’on a attenté à la vie du roi, mais ils n’étaient pas revenus ici lors de la mort de Reverchien. Cela est avéré.
— À l’exception d’Odo, rétorqua Corbett. Odo est certes un homme âgé, mais, de son propre aveu, c’est un combattant farouche. Il aurait pu assassiner Reverchien, partir du manoir, rejoindre Murston avant de rôder dans les rues d’York pour nous abattre dans un guet-apens, et enfin regagner le manoir à franc étrier avant l’arrivée des autres. Branquier a déclaré l’avoir trouvé assoupi.
— Il n’a plus qu’une main.
— Et alors ? J’ai entendu parler d’hommes plus infirmes qui ont commis des crimes. Comment savons-nous qu’il n’a pas suivi Reverchien dans le labyrinthe pour le tuer ? Ou qu’il n’a pas commandité le meurtre de Peterkin ?
— Et celui de la route d’York ? Vous le voyez brandir une épée à double tranchant ?
Corbett eut un geste résigné.
— Concedo ! Cela lui aurait été difficile, mais pas impossible. D’autre part, le maître queux m’a décrit un cavalier masqué, tapi dans les bois près du manoir.
— Un Assassin ?
— Possible, mais le cuisinier ment peut-être. Et enfin, dernier problème : la fausse monnaie... qui n’est pas forcément de la monnaie fausse. De toute façon, elle a fait son apparition après l’arrivée des templiers.
Alors, on en revient à l’alchimie ou à la magie, jeta Ranulf d’un ton abrupt. Messire, du temps où j’étais truand à Londres, je connaissais des faux-monnayeurs. Ce qu’ils font, c’est prendre une vraie pièce et la transformer en deux fausses. Je n’ai jamais entendu parler de faussaires produisant des pièces d’or sonnantes et trébuchantes.
Corbett s’assit en se frictionnant le visage.
— Si on passe tout au crible, récita-t-il, et si l’on atteint une seule et unique conclusion, il s’ensuit que cette conclusion est la solution.
Il croisa le regard de Ranulf.
— De la magie ? Peut-être... et peut-être, ajouta-t-il lentement, que le feu de Satan brûle parmi nous.
CHAPITRE VI
Les deux chevaliers prirent position aux extrémités des lices poussiéreuses, séparées en leur milieu par la barrière, longue clôture de bois recouverte de cuir. Ils avaient revêtu leur armure et coiffé leur heaume de tournoi. Leurs écuyers leur tendirent les boucliers, puis les grandes lances en bois. Corbett admira la maîtrise avec laquelle les jouteurs maniaient les armes tout en guidant leur monture d’une simple pression des genoux. L’appel strident d’une trompette éclata. Ils s’ébranlèrent lentement. La trompette sonna derechef. Les chevaux prirent le galop, cou tendu, soulevant la poussière de leurs sabots ferrés. Les champions s’élançaient l’un vers l’autre en gardant la barrière à main gauche. Les boucliers se levèrent, les lances s’abaissèrent. Le choc, au milieu de la lice, fut terrible et le fracas impressionnant. Les lances se
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