Le feu de satan
hermétiquement les volets et de trouver, dans la cour, un long piquet de tremble qu’il plaça en travers de la porte. Ce faisant, il remarqua l’espace entre le bas de la porte et le sol. Il contempla longtemps la grande tenture de cuir accrochée à la porte pour lutter contre les courants d’air. Il esquissa un sourire.
— C’est à voir ! souffla-t-il.
Il commençait à avoir une vague idée de la façon dont avaient péri les victimes, mais pas du motif ou de l’identité de l’assassin. Il posa sa plume et son écritoire sur la table et parcourut ses notes en s’efforçant de se remémorer conversations, incidents, gestes et mimiques. Il ne pouvait chasser de son esprit les circonstances de la mort de Baddlesmere, son corps qui se balançait légèrement à la poutre et ce gribouillis énigmatique sur le mur.
— La vérité ne sort pas de la rive, mais du puits ! chuchota-t-il. Qu’entendait-il donc par là ?
Il sommeilla un peu, puis descendit aux cuisines chercher de quoi se restaurer. Un serviteur maussade, au regard dur, lui jeta quasiment la nourriture à la figure. Plus tard, dans l’après-midi, on frappa à la porte. Jacques de Molay s’enquit de sa santé. Corbett le rassura et revint à ses notes. Il entreprit de concentrer ses efforts sur les premières preuves, à savoir les menaces de mort. Il fut à nouveau intrigué par l’existence de deux versions différentes.
— Pourquoi ? Mais pourquoi donc ? maugréait-il. Pourquoi cette différence ?
Le message cloué à St Paul, la version de Baddlesmere, les paroles entendues dans la bibliothèque différaient du parchemin apporté par Claverley et de celui qu’on lui avait remis sur le pont de l’Ouse. Toutes les histoires, réfléchit-il, proviennent d’une même source – un poème d’amour, un message... Elles se déforment en voyageant. Baddlesmere avait entendu parler de ces menaces lors de l’entretien du roi avec les templiers, au prieuré St Léonard. Mais alors pourquoi le message reçu sur le pont de l’Ouse était-il le même que celui trouvé par Claverley ? Corbett porta soudain la main à son front.
— Oh, Seigneur, murmura-t-il, à quoi te sert ta belle logique, Corbett !
Il reprit ses notes codées en s’orientant dans une autre direction et en se concentrant sur l’attaque perpétrée contre lui ainsi que sur les dates de remise des menaces de mort. Il leva les yeux.
— Certes, les templiers se trouvaient – peut-être – à York quand ce gamin m’a donné le message, mais certainement pas au moment du guet-apens.
Il saisit brusquement sa plume.
Ergo, écrivit-il, l’attaque avait été menée par quelqu’un d’autre.
Il mordilla le bout de sa plume. D’abord il avait soupçonné Baddlesmere et Scoudas, mais ces deux-là étaient innocents et pensaient surtout à leur liaison coupable. Corbett traça deux cercles sur le parchemin, puis un trait les reliant. Il alla ouvrir les volets et contempla le crépuscule. Une partie de l’énigme – le comment et le pourquoi – était résolue. Restait le « qui ». Sur qui portaient les soupçons de Baddlesmere ? Que signifiait son gribouillis sur le mur ? Était-ce un avertissement à l’assassin, un doigt pointé vers la vérité, ou les deux ? Veritas exit pouvait se traduire par « la vérité sort », mais e ripa ? Il revint à la table et manipula l’ordre des mots, mais en vain. Il prit le parchemin remis par l’enfant sur le pont, puis vérifia ses notes. Au fait, se demanda-t-il, avait-il fourni cette précision à qui que ce soit ? Quel templier l’avait mentionnée ? Malgré tous ses efforts, il ne s’en souvint pas. Ses paupières s’alourdirent. Après s’être assuré que la porte était bien fermée, il s’enroula dans sa cape et se coucha.
CHAPITRE XIII
Ranulf et Maltote revinrent le lendemain matin, mal rasés et presque larmoyants, jurant leurs grands dieux qu’ils n’avaient trouvé ce que, cherchait Corbett qu’après avoir remué ciel et terre. À la nuit tombée, le couvre-feu avait été proclamé et les portes de la ville fermées, ce qui les avait obligés à louer une chambre dans une auberge près de Botham Bar.
— Je vois, et vous en avez profité pour goûter à la bière du coin, conclut Corbett avec irritation.
Ranulf nia d’un geste, les yeux écarquillés, jouant les innocents.
— Juste une goutte, Messire, juste une goutte.
— Montrez-moi ce que vous avez
Weitere Kostenlose Bücher