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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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dit Paradis, à qui j'ai fait part de mes réflexions. Ça continue à réfléchir et à tourner, même quand l'bonhomme s'arrête. Dame, ça vous connait pas, c'te mécanique ; ça survit tout tranquillement en rond son p'tit temps.
    Je demandai :
    – Il a du sang aux mains ; mais où a-t-il été touché ?
    – Je n'sais pas. Au ventre, je crois, il me semble qu'il y avait du noir au fond d'lui. Ou bien à la figure. T'as pas remarqué une petite tache sur la joue ?
    Je me remémore la face glauque et hirsute du mort.
    – Oui, en effet, il y a quelque chose sur la joue, là. Oui, peut-être elle est entrée là…
    – Attention ! me dit précipitamment Paradis, le voilà ! Il n'aurait pas fallu rester ici.
    Mais nous restons quand même, irrésolus, balancés, tandis que Joseph Mesnil s'avance droit sur nous. Jamais il ne nous a paru si frêle. On voit de loin sa pâleur, ses traits serrés, forcés, il se voûte en marchant et va doucement, accablé par la fatigue infinie et l'idée fixe.
    – Qu'est-ce que vous avez à la figure ? me demande-t-il.
    Il m'a vu montrer à Paradis la place de la balle.
    Je feins de ne pas comprendre, puis je lui fais une réponse évasive quelconque.
    – Ah ! répond-il d'un air distrait.
    À ce moment, j'ai une angoisse : l'odeur. On la sent et on ne peut pas s'y tromper : elle décèle un cadavre. Et peut-être qu'il va se figurer justement…
    Il me semble qu'il a tout d'un coup senti le signe, le pauvre appel lamentable du mort.
    Mais il ne dit rien, il va, il continue sa marche solitaire, et disparaît au tournant.
    – Hier, me dit Paradis, il est venu ici même avec sa gamelle pleine de riz qu'i' n'voulait plus manger. Comme par un fait exprès, c'couillon-là, il s'est arrêté là et zig !… le v'là qui fait un geste et parle de jeter le reste de son manger par-dessus le talus, juste à l'endroit où était l'autre. C'te chose-là, j'ai pas pu l'encaisser, mon vieux, j'y ai empoigné l'abattis au moment ou i' foutait son riz en l'air et l'riz a dégouliné ici, dans la tranchée. Mon vieux, il s'est r'tourné vers moi, furieux, tout rouge : « Qu'est-ce qui t'prend, t'es pas en rupture, des fois ? » qu'i' m'dit. J'avais l'air d'un con, et j'y ai bafouillé j'sais pas quoi, que j'l'avais pas fait exprès. Il a haussé les épaules et m'a regardé comme un p'tit coq.
    Il est parti en ram'nant : « Non, mais tu l'as vu, qu'il a dit à Montreuil qui était là, tu parles d'un gourdé ! » Tu sais qu'i' n'est pas patient le p'tit client, et j'avais beau grogner : « Ça va, ça va », i' ram'nait ; et j'étais pas content, tu comprends, parce que dans tout ça, j'avais tort, tout en ayant raison.
    Nous remontons ensemble en silence.
    Nous rentrons dans la guitoune où les autres sont réunis. C'est un ancien poste de commandement, et elle est spacieuse.
    Au moment de s'y enfoncer, Paradis prête l'oreille.
    – Nos batteries donnent bougrement depuis une heure, tu trouves pas, hein ?
    Je comprends ce qu'il veut dire, j'ai un geste vague :
    – On verra, mon vieux, on verra bien !
    Dans la guitoune, en face de trois auditeurs, Tirette dévide des histoires de caserne. Dans un coin, Marthereau ronfle ; il est près de l'entrée, et il faut enjamber, pour descendre, ses courtes jambes qui semblent rentrées dans son torse. Un groupe de joueurs à genoux autour d'une couverture pliée joue à la manille.
    – À moi d'faire !
    – 40, 42 ! – 48 ! – 49 ! – C'est bon !
    – En a-t-il de la veine, c'gibier-là. C'est pas possible, t'es cocu trois fois ! J'veux pus y faire avec toi. Tu m'pèles, c'soir, et l'autr' jour aussi, tu m'as biglé, espèce de tarte aux frites !
    – Pourquoi tu t'es pas défaussé, bec de moule ?
    – J'n'avais que l'roi, j'avais l'roi sec.
    – L'avait l'manillon de pique.
    – C'est bien rare, peau d'crachat, qu'i' l'avait.
    – Tout de même, murmure, dans un coin, un être qui mangeait… C'camembert, i' coûte vingt-cinq sous, mais aussi tu parles d'une saleté : dessus c'est une couche de mastic qui pue, et dedans c'est du plâtre qui s'casse.
    Cependant, Tirette raconte les avanies que lui a fait subir, pendant ses vingt et un jours, l'humeur agressive d'un certain commandant-major :
    – C'gros cochon, c'était, mon vieux, tout c'qu'y a d'plus carne sur la terre. Tous qu'nous étions n'en m'nait pas large quand i' croisait c'tas qu'i' l'voyait au burlingue du doublard, étalé sur une

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