Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
Vom Netzwerk:
claires, à aider chacun à faire son devoir.
    On cause comme autrefois, comme naguère. Mais l'obligation de parler à voix contenue raréfie nos propos et y met un calme endeuillé.
    Il y a un fait anormal : depuis trois mois, le séjour de chaque unité aux tranchées de première ligne était de quatre jours. Or, voilà cinq jours qu'on est ici, et on ne parle pas de relève. Quelques bruits d'attaque prochaine circulent, apportés par les hommes de liaison et la corvée qui, une nuit sur deux – sans régularité ni garantie – amène le ravitaillement. D'autres indices s'ajoutent à ces rumeurs d'offensive : la suppression des permissions, les lettres qui n'arrivent plus ; les officiers qui, visiblement, ne sont plus les mêmes : sérieux et rapprochés. Mais les conversations sur ce sujet se terminent toujours par un haussement d'épaules : on n'avertit jamais le soldat de ce qu'on va faire de lui ; on lui met sur les yeux un bandeau qu'on n'enlève qu'au dernier moment. Alors :
    – On voira bien.
    – Y a qu'à attendre !
    On se détache du tragique événement pressenti. Est-ce impossibilité de le comprendre tout entier, découragement de chercher à démêler des arrêts qui sont lettre close pour nous, insouciance résignée, croyance vivace qu'on passera à côté du danger cette fois encore ? Toujours est-il que, malgré les signes précurseurs, et la voix des prophéties qui semblent se réaliser, on tombe machinalement et on se cantonne dans les préoccupations immédiates : la faim, la soif, les poux dont l'écrasement ensanglante tous les ongles, et la grande fatigue par laquelle nous sommes tous minés.
    – T'as vu Joseph, ce matin ? dit Volpatte. I' n'en mène pas large, le pauvre p'tit gars.
    – I' va faire un coup de tête, c'est sûr. L'est condamné, c'garçon-là, vois-tu. À la première occase, i' s'foutra dans une balle, comme j'te vois.
    – Y a aussi d'quoi vous rendre piqué pour le restant d'tes jours ! I's étaient six frères, tu sais. Y en a eu quatre de clam'cés : deux en Alsace, un en Champagne, un en Argonne. Si André est tué, c'est l'cinquième.
    – S'il avait été tué, on lui aurait trouvé son corps, on l'aurait eu vu d'l'observatoire. Y a pas à tortiller du cul et des fesses. Moi, mon idée, c'est qu'la nuit où euss i's ont été en patrouille, il s'est égaré pour rentrer. L'a rampé d'travers, le pauv' bougre – et l'est tombé dans les lignes boches.
    – I' s'est p't'êt' bien fait déglinguer sur leurs fils de fer.
    – On l'aurait r'trouvé, j'te dis, s'il était crampsé, car tu penses bien que si ça était, les Boches ne l'auraient pas rentré son corps. On a cherché partout, en somme. Pisqu'i' s'est pas vu r'trouvé, faut bien que, blessé ou pas blessé, i' s'soye fait faire aux pattes.
    Cette hypothèse, qui est si logique, s'accrédite – et maintenant qu'on sait qu'André Mesnil est prisonnier, on s'en désintéresse. Mais son frère continue à faire pitié :
    – Pauv' vieux, il est si jeune !
    Et les hommes de l'escouade le regardent à la dérobée.
    – J'ai la dent ! dit tout d'un coup Cocon.
    Comme l'heure de la soupe est passée, on la réclame. Elle est là, puisque c'est le reste de ce qui a été apporté la veille.
    – À quoi que l'caporal pense de nous faire claquer du bec ? Le v'là. J'vais l'agrafer. Eh ! caporal, à quoi qu'tu penses d'pas nous faire croûter ?
    – Oui, oui, la croûte ! répète le lot des éternels affamés.
    – Je viens, dit Bertrand, affairé, et qui, le jour et la nuit, n'arrête pas.
    – Alors quoi ! fait Pépin, toujours mauvaise tête, j'm'en ressens pas pour encore becqueter des clarinettes ; j'vais ouvrir une boîte de singe en moins de deux.
    La comédie quotidienne de la soupe recommence, à la surface de ce drame.
    – Ne touchez pas à vos vivres de réserve ! dit Bertrand. Aussitôt revenu de voir le capitaine, je vais vous servir.
    De retour, il apporte, il distribue et on mange la salade de pommes de terre et d'oignons, et, à mesure qu'on mâche, les traits se détendent, les yeux se calment.
    Paradis a arboré pour manger un bonnet de police. Ce n'est guère le lieu ni le moment, mais ce bonnet est tout neuf et le tailleur, qui le lui a promis depuis trois mois, ne le lui a donné que le jour où on est monté. La souple coiffure biscornue de drap colorié en bleu vif, posée sur sa bonne balle florissante, lui donne l'aspect d'un gendarme en carton

Weitere Kostenlose Bücher