Le Fils de Pardaillan
avancé de ses mains aristocratiques :
– Je suppose, dit le père Joseph, que nulle oreille indiscrète ne peut nous entendre ?
– Attendez, fit Richelieu.
Il ouvrit la porte de son cabinet et alla pousser le verrou de la pièce qui le précédait. Il revint s’asseoir en disant :
– Maintenant, nul ne pourra approcher de ce cabinet.
Le père Joseph opina doucement de la tête et fixant son œil gris sur le visage souriant de l’évêque :
– Vous savez, dit-il à brûle-pourpoint, que le roi n’en a pas pour longtemps à vivre.
Le sourire se figea sur les lèvres de Richelieu.
– Oui, fit-il, d’une voix sourde, c’est un bruit qui court… Et le roi ne fait rien pour l’arrêter. Au contraire. Il semble que lui-même soit, plus que quiconque, persuadé de sa fin prochaine. Il est cependant plein de force et de vigueur et je ne comprends pas…
– Il est condamné, interrompit le moine d’une voix tranchante. Nulle puissance humaine ne peut le sauver !
Richelieu frissonna. Le moine vit ce frisson et il eut un imperceptible sourire de dédain.
– Donc, fit-il d’une voix très calme, avant longtemps, mettons d’ici quelques mois, si vous voulez, Marie de Médicis sera régente du royaume. Ceux qui sont autour d’elle en ce moment, ceux qui entreront à son service avant que ne sonne pour elle l’heure de la toute-puissance, ceux-là, s’ils sont adroits et intelligents, seront les mieux placés pour bénéficier des faveurs qu’elle pourra répandre autour d’elle. Avez-vous songé, par exemple, à la situation magnifique qui attend cet intrigant italien qui s’appelle Concini ? Avez-vous remarqué qu’on tourne déjà autour de lui comme autour du futur dispensateur de grades et d’emplois ?
Richelieu eut un geste évasif. Il attendait que le moine dévoilât sa pensée.
– Comment se fait-il, Richelieu, reprit lentement le père Joseph, comment se fait-il que vous n’ayez pas déjà cherché à vous attacher à la fortune de la reine-mère ?
Un nouveau frisson secoua le jeune évêque. Le moine disait la reine-mère comme si le roi eût été déjà mort. Il se maîtrisa cependant et, avec une sourde rancœur :
– Eh ! dit-il, je ne songe qu’à cela !… Mais je suis encore trop petit personnage pour aborder la reine !… Et si jeune !… Pensez donc que je n’ai pas vingt-cinq ans !…
Il se vieillissait sciemment et cela amena un mince sourire sur les lèvres du moine. L’évêque reprit avec un haussement d’épaules furieux :
– Comme s’il était indispensable d’être vieux pour avoir dans le cerveau de hautaines pensées et sentir gronder en soi de vastes ambitions !…
Il se calma brusquement et acheva d’un ton découragé :
– Concini ?… Oui, par lui, je pourrais arriver à la reine. Mais il faudrait que je fusse à même de lui rendre quelque signalé service… et jusqu’ici l’occasion ne s’est pas présentée.
– Dites-moi, fit paisiblement le moine, quel poste ambitionneriez-vous, pour le moment, près de la reine ?
Une lueur passa dans l’œil de Richelieu :
– Ah ! fit-il d’une voix ardente, si j’étais seulement… aumônier de la reine !… Je me chargerais bien de faire venir le reste, tout seul !
Le père Joseph se pencha sur lui et le regardant droit dans les yeux :
– Richelieu, dit-il avec assurance, je vous apporte le poste que vous convoitez.
Richelieu le considéra longuement sans rien dire. Et brusquement, résolument :
– Que faut-il faire ? dit-il.
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Chapitre 23
L e lendemain matin, vers dix heures et demie, Mgr l’évêque de Luçon se présentait rue Saint-Honoré, au logis de Concini, juste comme celui-ci venait de sortir pour se rendre au Louvre.
L’évêque parut fort contrarié : l’affaire dont il avait à entretenir le seigneur Concini était d’importance et ne souffrait aucune remise. Il demanda à présenter ses hommages à madame.
Richelieu n’était pas des amis de Concini. Néanmoins, ils s’étaient rencontrés à la cour. Le jeune prélat, qui déjà cherchait à se concilier les bonnes grâces de quelque puissant protecteur qui l’aiderait à franchir les premiers échelons de cette échelle raide qui s’appelle la faveur de cour, le jeune prélat avait déjà jeté les yeux sur Concini et sur Léonora Galigaï.
Il avait trouvé que Concini ne pouvait pas être ce protecteur. Il n’avait pas la puissance nécessaire. Mais, avec une
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