Le Fils de Pardaillan
millions destinés à son fils, sans que l’abandon de cette somme énorme parût avoir diminué ses immenses revenus.
En parlant, le chevalier tenait ses yeux rivés sur ceux du roi. Celui-ci réfléchissait et ses réflexions étaient plutôt amères. Il était clair que Pardaillan était au courant de l’objet des fouilles qu’il faisait effectuer à la chapelle du Martyr. Certainement, il allait lui rappeler que, tout roi qu’il fût, il n’avait aucun droit sur ces millions et, avec tout le respect auquel il avait droit, le mettre en demeure d’y renoncer.
Lâcher ces millions au moment où il les tenait presque, c’était pénible, très pénible. Mais quoi ?… Pardaillan et son fils étaient dans leur droit. Ceci ne pouvait être contesté d’aucune manière. Et quand bien même c’eût été possible, pouvait-il, après toutes les obligations qu’il lui avait, après l’exceptionnel désintéressement qu’il avait toujours montré, pouvait-il s’abaisser jusqu’à disputer son bien à cet homme ? Fi donc ! Henri était beau joueur et savait perdre sans sourciller. Il considéra cette affaire comme une partie perdue. Certes, la pilule était amère, mais il fallait savoir l’avaler sans trop faire la grimace. Cela étant décidé, non sans déchirement intérieur, il fallait aussi s’éviter l’humiliation d’un rappel au respect de la propriété d’autrui.
Et il prit bravement les devants, en affectant un air enjoué et fort détaché.
– Oh ! diable ! mon ami, fit-il, savez-vous que j’étais en train de vous détrousser ?
Il s’attendait peut-être à ce que Pardaillan se récriât, jouât la petite comédie de la surprise, et peut-être avait-il intentionnellement employé le mot détrousser. Il n’en fut rien. Pardaillan se dit à lui-même :
« Allons donc ! tu y viens enfin ! »
Et tout haut, de l’air le plus simple du monde :
– Oui, je sais. Sur la foi de certain document écrit en italien contenant des indications très précises, M. de Sully fait faire des recherches à la chapelle du Martyr.
– Comment savez-vous ce détail ? s’écria Henri stupéfait.
– J’étais là quand on a remis ce papier à M. de Sully, sourit Pardaillan.
– Il ne m’en a rien dit !
– Il n’aurait eu garde de le faire… Pour la bonne raison qu’il ignore que j’ai assisté à son entretien avec l’homme qui lui a remis le papier en question.
Pardaillan dit cela de son air le plus ingénu. Henri le considéra un moment, tout éberlué, et murmura, non sans une secrète admiration :
– Diable d’homme ! Et tout haut :
– Comment, dès le premier jour vous avez su que Sully cherchait à s’approprier le bien de votre fils et vous avez laissé faire ?… Vous n’avez rien dit ?…
– Je m’en serais bien gardé !
– Pourquoi ? Jarnicoton !
– Parce que, fit Pardaillan avec un flegme admirable, parce que les millions ne sont pas où on les cherche… Parce que les renseignements sur lesquels on s’est basé sont faux… Vous comprenez, Sire. Tandis qu’on cherchait les millions sous la chapelle, avec la conviction absolue qu’on les y trouverait, on ne pensait pas à chercher ailleurs… J’étais bien tranquille.
– Ventre-saint-gris ! marmotta le roi avec dépit, et ce sont mes deniers qui dansent !… Belle opération que m’a fait faire là Sully !
– Oh ! fit Pardaillan avec une ironie imperceptible, rassurez-vous d’ailleurs, Sire. Même si les millions s’étaient trouvés où on les cherche, l’opération n’eût pas été plus fructueuse pour vous… attendu que vous n’eussiez rien trouvé du tout.
– Que voulez-vous dire ?
– Que d’autres seraient arrivés avant M. de Sully et auraient soufflé ces millions à son nez et à sa barbe.
– Ventre-saint-gris ! Voici qui est trop fort, par exemple !
– Sire, expliqua complaisamment Pardaillan, mon fils est venu au monde dans un cachot du château Saint-Ange, à Rome. S’il en est sorti vivant, c’est que le pape, Sixte Quint, connaissait l’existence de ce trésor. En même temps qu’il laissait partir l’enfant et celle qui devait remplacer sa mère, il mettait à leurs trousses toute la moinerie de France et d’Italie… Par cette femme, ou par l’enfant, il comptait bien arriver au trésor sur lequel il aurait mis la main.
– Je commence à comprendre.
– Il y a vingt ans de cela. Et les gens d’Eglise n’ont pas
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