Le Gerfaut
dans l’ombre.
— Qu’attends-tu pour fuir ? souffla rageusement l’Indienne. Depuis un moment j’observe « la fille de la pierre ». Je savais qu’elle essaierait de te délivrer. Alors, que fais-tu là ? Fuis !
Mais il était au-delà de tout raisonnement. Saisissant la jeune femme, il la repoussa à l’intérieur de la hutte afin que l’on ne pût les entendre. Une idée folle venait de germer brusquement en lui.
— Je suis venu te chercher, fit-il. Je sais tout de toi. Ces gens sont les ennemis des tiens comme ils sont des miens. Laisse-moi t’emmener…
Dans l’obscurité il l’étreignit et le contact de son corps réveilla le démon en lui. Elle ne se défendit pas et, contre sa joue, il entendit un rire doux.
— Tu es aussi fou que jeune, toi dont les yeux sont semblables à un glacier sous la lune. Mais je n’ai pas envie de partir. Sagoyewatha m’aime… et c’est un grand chef.
— Et toi, l’aimes-tu ? Oh, je t’en prie, viens ! Si tu veux me suivre, je saurai t’aimer comme jamais aucun autre homme ne le pourra…
— M’aimer ? Tu m’aimes et cependant hier encore tu ne me connaissais pas ?
— Je ne cherche pas à expliquer. Vois, j’aurais dû fuir trop heureux d’échapper à la mort qui m’attend et cependant il m’a été impossible de m’éloigner de toi. Il fallait que je te revoie, ne fût-ce qu’une fois. Je sais bien que tu me prends pour un fou mais tu as mis du feu en moi, Sitapanoki…
— … et c’est le feu que tu risques si tu ne pars pas immédiatement ! Toi qui sais mon nom, ajouta-t-elle d’une voix émue, sais-tu quelle éternité de souffrance te réserve Hiakin ? Tu hurleras pendant des jours, peut-être, avant que la mort te prenne et moi je te verrai détruire lentement sous mes yeux sans même pouvoir abréger ton martyre ! Si « la fille de la pierre » ne t’avait délivré, je jure par le Grand Esprit que je l’aurais fait mais maintenant fuis…
— Pas sans toi…
Et, avant que la jeune femme ait pu seulement faire un mouvement, il l’avait enlevée dans ses bras, l’emportait hors de la hutte. Il était au-delà de toute logique, de tout raisonnement. Le vieux sang paternel avec ses exigences impérieuses, son goût du rapt et de la violence réclamait ses droits. Quel que puisse être le danger, il voulait cette femme et ne tolérait plus l’idée d’une séparation.
Sitapanoki n’avait pas poussé un cri, pas même un soupir et cependant ce qui devait arriver arriva. Gilles n’avait pas fait trois pas hors de la hutte qu’une haute forme humaine lui barra le passage. Une torche allumée surgit sans qu’on pût savoir d’où elle venait, puis une autre, puis une troisième. Et Gilles, brutalement dégrisé, se retrouva en face de Hiakin et de trois hommes. D’un souple mouvement de reins, l’Indienne glissa de ses bras et disparut dans l’ombre comme une couleuvre.
— Pour avoir réussi à te libérer, il faut que les esprits des ténèbres soient tes amis, gronda le sorcier. Et tu osais voler l’une de nos femmes… mais tu ne pourras plus échapper à ton sort. Regarde : le jour va naître…
En effet, vers l’est le ciel devenait plus pâle derrière les montagnes. Un coq chanta quelque part et brusquement tout le village fut dehors comme un essaim de guêpes qu’on aurait dérangé d’un coup de pied. Des dizaines de mains s’abattirent sur Gilles. On le traîna jusqu’au poteau et il y fut, de nouveau, solidement arrimé après avoir été dépouillé de ses vêtements tandis que des femmes entassaient des brassées de bois pour allumer un nouveau feu.
Hiakin, bras croisés sur la poitrine, considérait son prisonnier avec une joie féroce.
— Ton frère, l’homme aux cheveux rouges, a échappé. C’est tant pis pour toi : tu souffriras pour deux.
Et, complaisamment il se mit à lui détailler tout ce qu’il aurait à endurer dès que les premiers rayons du soleil s’abattraient sur le village. On allait lui brûler lentement toutes les parties du corps au moyen de toute une collection d’instruments que des femmes et des vieillards apportaient au feu par brassées et cela jusqu’à ce que son corps ne soit plus qu’une plaie, on lui mutilerait le visage de façon à le rendre méconnaissable, on lui arracherait la peau du crâne et on la remplacerait par un lit de braises ardentes, on lui casserait tous les os l’un après l’autre…
Sous ce débordement
Weitere Kostenlose Bücher