Le Gerfaut
l’on fit cercle près de la cheminée, comme cela se doit faire autour des conteurs, à la veillée.
En manière de préambule, Guégan avala un plein gobelet, se torcha la bouche à sa manche et, gardant au creux de ses mains, pour le réchauffer le gobelet que l’aubergiste venait, sur un signe de Gilles, de remplir à nouveau, entama son histoire dans un silence religieux.
— C’était aux vigiles de Noël. Avec l’idée de prendre un beau lièvre ou un couple de lapins, ou même une plus grosse pièce qu’on m’aurait payée un bon prix chez Maître Le Coz, j’étais allé poser des pièges dans la forêt, près de l’étang du château de Trecesson, à deux grandes lieues d’ici mais pas loin de mon village de Campénéac. C’est un bon coin ; la nuit, les bêtes viennent boire à l’étang et je connais bien leurs habitudes.
» Ce soir-là, je suis parti à la nuit close. Il faisait froid et noir mais j’ai le cuir dur et j’ai jamais eu peur de l’obscurité. En marchant d’un bon pas, j’ai eu vite fait d’atteindre les alentours du château. Tout était tranquille et il n’y avait pas une lumière. J’en ai été content parce que cela voulait dire qu’il ne devait pas y avoir grand monde au château. Monsieur le comte de Châteaugiron-Trecesson à qui il appartient par mariage avait peut-être décidé de passer la Noël dans son hôtel de Rennes. J’étais donc bien tranquille et à peu près sûr de ne pas me faire pincer.
» Je m’étais mis à faire mes petites installations quand j’ai entendu, tout à coup, le bruit de chevaux qui approchaient et qui approchaient vite. J’ai eu peur. L’idée m’est venue que c’était peut-être le châtelain qui arrivait et, pour ne pas me faire prendre, je me suis dépêché de grimper dans le premier arbre venu. Le cœur me battait un peu. Ce n’est pas que Monsieur le Comte soit un homme sévère ou avare mais, comme tous les châtelains de Trecesson depuis des siècles, c’est un chasseur et, depuis ces mêmes siècles, chasseur et braconnier n’ont jamais fait bon ménage. Pourtant, je n’avais pas trop de souci à me faire. Il n’y avait plus de feuilles aux arbres mais la nuit était sombre…
» Pourtant, une fois là-haut, je me suis demandé un instant si je n’avais pas eu la berlue : on n’entendait plus rien.
» J’allais redescendre pour reprendre mon travail quand j’ai entendu des pas prudents et le grincement des essieux. J’ai vu alors arriver devant les douves du château deux hommes masqués qui menaient leurs chevaux par la bride. Derrière eux venait un carrosse, bien fermé par ses mantelets de cuir.
» Les deux hommes de tête se sont arrêtés un instant pour examiner la façade muette et noire du château.
» — C’est bien ce que j’espérais, dit l’un. Il n’y a personne que les domestiques et, à cette heure, ils dorment comme des souches. D’ailleurs, même s’ils entendaient le moindre bruit, ils ne sortiraient pas tant ils ont peur des revenants, des fées et des farfadets.
» — On ne va tout de même pas faire ça juste devant le château, fit l’autre. Allons plus loin ! Ce sera plus prudent.
» Ils continuèrent à marcher un peu le long de l’étang. Le carrosse sur le siège duquel il y avait un cocher tellement emmitouflé qu’on ne lui voyait pas un bout de peau les suivit. Le tout s’arrêta tout juste sous l’arbre où je me cachais, à moitié mort de peur cette fois, car ces hommes, ces masques, ce carrosse, ce cocher qui avait l’air d’un fantôme, tout ça ne me disait rien qui vaille. J’avais la chair de poule et je commençais à invoquer mon ange gardien.
» — Ici ça ira très bien, dit le plus grand des deux hommes. »
Il alla prendre l’une des lanternes du carrosse, l’alluma et la tendit à son compagnon.
» — Éclaire-nous !…
» Le cocher descendit à son tour. Comme les deux autres, il portait un masque. Il portait aussi des outils, pelles et pioches avec lesquelles ils se mirent, à deux, à creuser la terre… Ils creusèrent longtemps et moi, dans mon arbre je ne comprenais pas pourquoi ces hommes trouvaient bon de faire un trou en pleine nuit et dans la forêt. Mais j’avoue bien sincèrement que ça commençait à m’intéresser car, pour se donner tant de mal, ils devaient avoir à cacher quelque chose de précieux… de l’or peut-être. Ou de la contrebande…
» Quand le trou, qui était plus long que
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