Le Gerfaut
et lui fit part de son désir de gagner la Bretagne au plus vite. Puis, fourrant Pierrot dans la malle de Brest, il boucla son portemanteau et, enfourchant Merlin, prit au grand galop le chemin du pays natal.
Il ne savait pas très bien, ce qu’il allait y faire mais ce qu’il savait bien, c’est que la vie n’aurait plus de sens tant qu’il ne saurait pas ce qu’il était advenu de Judith. À tout le moins, il aurait la satisfaction de mettre quelques pouces de fer dans le ventre de Morvan et, par la même occasion, d’embrocher Tudal, son aîné, si, par malheur, la jeune fille avait choisi la mort pour échapper à un mariage répugnant. Cela seul valait le voyage…
Gilles tira sa montre, récent cadeau de Washington, et constata qu’il était temps de descendre souper. À ce sujet, d’ailleurs, son estomac était encore plus péremptoire. Il se lava les mains, rajusta sa perruque, brossa l’habit bleu sombre, de coupe presque militaire, qu’il portait et descendit dans la salle commune avec l’idée bien arrêtée de faire parler son hôte au sujet des Saint-Mélaine, même si le digne homme devait y mettre quelque répugnance. Peut-être en le faisant boire… encore que les capacités bachiques d’un aubergiste fussent certainement respectables.
Sa table était mise dans le coin le plus proche de la grande cheminée de granit devant laquelle une servante en savates s’affairait à sauter les crêpes. Gilles dilata les narines à leur odeur familière, il y avait si longtemps qu’il n’en avait mangé. Il s’installa à la table couverte d’une nappe à carreaux, de grosses faïences gaiement colorées et d’un gobelet d’étain. Une motte de beurre salé décorée à la forme, du pain à l’épaisse croûte craquante et un pichet de ce cidre mousseux qui était l’orgueil de Ploërmel complétaient le couvert.
Avec l’appétit d’un homme qui a galopé toute la journée et qui connaît la valeur d’un organisme en bon état le chevalier entama son repas.
La dernière crêpe terminée, Gilles poussa un soupir de satisfaction, sortit sa pipe et entreprit de la bourrer en cherchant l’aubergiste de l’œil. Il le vit à quelques pas de lui, appuyé des deux poings à une table, discutant avec deux postillons et attendant le coche de Rennes. Il l’appela d’un geste.
— Quand on a du si bon cidre, on doit avoir l’eau-de-vie qui va avec ! dit-il.
L’homme sourit, visiblement touché dans ses amours secrètes.
— Pour sûr, mon gentilhomme ! Et de la meilleure !
— Alors, apportez-m’en… avec deux gobelets. Nous boirons ensemble !
L’aubergiste obéit avec empressement et revint avec un tonnelet. Il apportait aussi deux verres, expliquant que, pour une pareille merveille, l’étain ne convenait pas.
Gilles goûta l’alcool, claqua la langue et, poussant sa poche à tabac vers son hôte qui, les yeux au plafond, dégustait l’eau-de-vie avec la mine d’un bienheureux en Paradis :
— Asseyez-vous un moment et, si vous êtes fumeur, goûtez ce tabac. Je voudrais vous poser une question. Au fait comment vous appelez-vous ?
Instantanément, le bienheureux aubergiste reprit brutalement contact avec la terre. Les coins de sa bouche, relevés en un sourire béat, retombèrent.
— Le Coz… Yvon Le Coz… mais si votre question doit concerner le Frêne, j’aimerais mieux pas vous répondre, avec votre permission.
— Décidément, vous n’aimez pas ce domaine. Non, je voulais seulement vous demander si vous avez entendu parler d’un grand mariage qui aurait eu lieu dans la région depuis… disons deux mois !
Les yeux de Le Coz devinrent si fixes que Gilles crut un instant qu’il allait se mettre à pleurer. Il se laissa tomber d’une masse sur le tabouret en face de son client, attira le tonnelet et se versa une nouvelle rasade qu’il avala d’un trait.
— … Eh bien ? je ne pensais pas vous faire un tel effet, remarqua Gilles. Ce n’est pourtant pas un sujet tragique un mariage, que diable !
— Ce ne devrait pas l’être mais il y a tout de même des cas… Écoutez, monsieur, vous avez l’air d’un homme de bien et en tous les cas vous êtes un bon client. Aussi, je vais répondre à votre question mais ne m’en veuillez pas si ma réponse ne vous paraît pas claire. Je n’ai entendu parler d’aucun grand mariage depuis au moins trois mois… mais j’ai entendu parler d’une mariée, et d’une mariée du beau monde à qui
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