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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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faire un curé de campagne, c’est qu’elle ne l’a jamais regardé », songea l’Abbé stupéfait et plutôt inquiet du résultat de son examen. Toutes les femmes vont en être folles et cela provoquera plus d’un drame. Évidemment, s’il pouvait espérer un évêché ou une abbaye, il n’en serait que mieux armé. Malheureusement sa naissance le condamne aux grades obscurs. Allure de seigneur mais bâtard. Tout cela ne présage rien de bon.
    Inquiet de ce long silence, Gilles osa demander :
    — Vous ne dites rien, Monsieur ! Puis-je vous demander ce que vous pensez ?
    L’Abbé réprima un soupir. Son devoir envers la mère ne lui permettait guère de prendre parti. Il se contenta de faire remarquer doucement.
    — Je pensais que vous avez tort, que votre mère a bien réellement, sur vous, tous les droits… même celui de vous faire conduire au Séminaire par la force… ou ramener par la maréchaussée s’il vous prenait fantaisie de fuir ! Et vous le savez d’ailleurs parfaitement ! Mais dites-moi pourquoi vous ne voulez plus servir Dieu ?
    Gilles planta son regard scintillant dans celui du jeune prêtre.
    — Ne peut-on servir Dieu qu’en soutane ? fit-il insolemment. Je pensais que tout homme qui accomplit la tâche pour laquelle il est né et qui obéit aux lois du Seigneur est un bon serviteur de ce même Seigneur !
    — Ce n’est pas moi qui vous dirai le contraire. Mais votre mère pense que, justement, vous êtes né pour cette existence… et elle vous aime.
    — Non !
    Le mot claqua, souffletant presque l’Abbé qui, horrifié, protesta.
    — Taisez-vous ! Comment pouvez-vous blasphémer ainsi ?
    — Pourquoi donc la simple vérité serait-elle un blasphème ? Ma mère n’aime que Dieu. Non seulement elle n’a jamais souhaité ma venue mais ma naissance a brisé une vie qu’elle voulait détachée entièrement de la terre. Ma vue seule lui fait mal car je suis pour elle le péché vivant, la marque de l’homme qui s’est dressé entre elle et l’amour divin, la contraignant à demeurer prisonnière d’un monde qu’elle déteste. Voilà pourquoi elle exige que je devienne prêtre : parce que ainsi elle se sentira pardonnée, sanctifiée. Sacrifice pour sacrifice, mon Père ! Mais elle n’est pas Abraham et je ne crois pas que Dieu lui ait jamais demandé ma vie.
    Ce fut à nouveau le silence. Le prêtre, désarmé, se sentit tout à coup l’âme lourde et la conscience amère en face de ce jeune révolté refusant obstinément d’assumer une faute qui n’était pas sienne. Il sentait que l’intransigeance de la mère doublait, sur l’âme de l’enfant, le poids du péché originel et que, pour elle, la tonsure serait le seul baptême valable de son fils. Et il en éprouva une grande pitié. Mais cette pitié, il n’avait pas le droit de l’exprimer.
    Quittant l’abri de sa table, il vint vers Gilles et posant doucement sa main sur un bras qu’il sentit trembler, il murmura :
    — Regagnez votre classe et préparez-vous, soupira-t-il. Dans une heure je vous conduirai moi-même au séminaire. Ce sera mieux que vous y envoyer avec le Père Censeur. Puis… et cela je vous le promets, je reviendrai ici afin d’écrire à votre mère et lui donner mon sentiment personnel. C’est tout ce que je peux faire pour vous.
    Il ne dit pas ce qu’était ce sentiment. Gilles, accablé par ce qu’il considérait comme sa condamnation, baissa la tête et, sans avoir le courage de saluer, retourna vers la porte, quitta le cabinet du sous-principal.
    Dans la cour, il trouva la tempête qui depuis le matin s’était abattue sur le golfe, préludant aux grands ouragans d’équinoxe. Là, dans l’espace clos de la cour, sa violence semblait se concentrer. Elle volait à ras du sol, courbant les herbes pourries par l’hiver, chassant les graviers. Quelque part, une fenêtre mal attachée claqua avec un cliquetis de verre brisé…
    Un instant, le futur séminariste demeura debout au milieu de ce grand espace vide, laissant le vent furieux fouetter son corps, dénouer ses cheveux qui s’enlevèrent dans la bourrasque, claquant comme une flamme à la pomme d’un mât. Il avait envie de rester là toujours, de ne pas aller plus loin, de devenir pierre. La tempête lui faisait du bien car il n’eût pas aimé que ce qu’il considérait comme le naufrage de sa vie eût lieu par un doux soleil et au chant des oiseaux. C’était un bon prélude à l’enfer.
    Tout

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