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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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prêt et la vie de marin est dure. Tu n’irais pas bien loin ni bien haut : des grades minables, l’usure des tâches subalternes. Il faudrait une grande occasion…
    Elle était là, cette grande occasion : le combat d’un immense pays pour sa liberté, le déchaînement d’un lion prisonnier d’une souris. Avec ces gens-là, même un bâtard devait pouvoir sortir de sa nuit ! Mais pour saisir la chance, il fallait revoir l’Abbé et pour cela retourner à Hennebont ; au risque de tomber sur Marie-Jeanne et de se faire lancer la maréchaussée aux trousses. Cruel dilemme ! Et que l’on n’avait guère le temps d’examiner…
    Néanmoins, Gilles, qui était arrivé à la Poissonnerie, rebroussa chemin vers les hauteurs de la ville tout en se traitant d’imbécile car pour aller à Hennebont il fallait repasser devant Saint-Yves et il y avait là un sérieux point noir, sans parler de tout ce temps perdu.
    Il hésitait encore quand tout à coup des cris éclatèrent à l’autre bout de la rue qu’il remontait.
    — Le voilà ! Attrapez-le !…
    Un frisson glacé lui courut le long de l’échine. Les cris sortaient vigoureusement d’un sergent de police qui, flanqué de deux argousins, dévalait la rue à toutes jambes. En un clin d’œil Gilles se vit perdu, repris, traîné au Séminaire, bouclé à double tour et peut-être même jeté au fond d’un « in pace » sans air et sans lumière jusqu’à ce qu’il accepte la tonsure. Sa fuite était déjà découverte et l’abbé Grinne, cet hypocrite fieffé avec ses airs de compassion, n’avait pas hésité un instant à lui jeter la justice aux trousses. On allait l’arrêter en pleine rue comme un vulgaire truand.
    Il jura entre ses dents tout en se signant par habitude, et jeta autour de lui un regard affolé. C’est alors qu’il vit le cheval ! Et c’était le plus beau qu’il eût jamais vu. Il était même si beau qu’il lui parut miraculeux. C’était comme s’il avait surgi de terre tout exprès pour lui venir en aide.
    Simplement attaché sous la voûte de l’hôtel du Grand Monarque , il devait attendre là que son maître, quelque riche voyageur de passage, eût achevé son repas. Mais il fit au jeune fugitif l’effet d’une apparition.
    Gilles ne s’accorda même pas le temps d’une hésitation : à peine eut-il aperçu le miraculeux animal qu’il fondit littéralement dessus, oubliant d’ailleurs totalement qu’en fait d’équitation il n’avait jamais monté que des ânes et la mule de l’Abbé. Détacher le cheval, sauter dessus avec plus de souplesse que de science furent l’affaire d’une seconde et ce fut si rapide qu’un valet qui arrivait sans se presser, un sac d’avoine au bout du bras en demeura pétrifié, sans même songer à crier au voleur. Déjà Gilles, talonnant furieusement l’animal, fonçait droit sur les argousins qui arrivaient, renversant dans son élan un honnête bourgeois qui ne l’avait pas vu venir et marchait tête baissée pour mieux lutter contre le vent.
    Les gens de police s’écartèrent de justesse pour le laisser passer.
    — Qu’est-ce qui m’a fichu un abruti pareil ! rouspéta le sergent qui avait dû s’aplatir désagréablement contre un mur pour éviter le choc. En plus, il va nous faire manquer notre gibier. Si je n’étais pas si pressé, je lui dirais deux mots, à ce gars !…
    Et les trois hommes, que Gilles n’intéressait nullement d’ailleurs, reprirent leur course à la suite d’un voleur de poules qu’ils avaient repéré au marché tandis que le jeune homme, persuadé que toute la maréchaussée de France était à ses trousses passait en trombe devant Saint-Yves et gagnait la campagne, entamant avec le cheval inconnu et la tempête une lutte qui allait se révéler épique.
    Car les choses n’allèrent pas toutes seules, tant s’en faut ! Le cavalier était plus que novice, le cheval plein de sang et, en outre, complètement affolé par l’ouragan. Cramponné à la bride (par chance, le cheval n’avait pas été dessellé !) Gilles s’efforça d’abord de rester en selle et ensuite de conduire, autant que faire se pourrait, la course aveugle de sa monture. Contre ce bel animal qui l’avait ensorcelé, Gilles livra le premier violent combat de sa vie. Par trois fois, il vida les étriers mais sans jamais lâcher ce lien de cuir qu’il serrait à plein poing, même quand le cheval le traîna sur le chemin où apparaissaient

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