Le Gerfaut
pour le supérieur du Grand Séminaire.
Et, comme le jeune homme ne répondait rien, il poursuivit, agitant légèrement le papier qu’il tenait.
— … Nous avons reçu hier une lettre de votre mère, une lettre… que voici !
Gilles se raidit, surpris et un peu choqué.
— Ma mère ? Elle a écrit… ici ?
— Mais oui. Vous n’avez jamais ignoré son désir profond de vous voir entrer dans l’Église ? Aujourd’hui, pour des raisons qui lui sont propres, elle demande que vous soyez conduit immédiatement au Séminaire afin d’y entamer vos études théologiques et votre préparation au sacerdoce.
Instantanément, Gilles fut debout. Il avait la sensation d’étouffer comme si, autour de sa poitrine, on avait soudain serré des chaînes.
— Immédiatement ?… Mais nous sommes en mars et l’année scolaire n’est pas terminée. D’ailleurs…
— Vous l’achèverez au Séminaire, plus sérieusement encore que vous ne sauriez le faire ici.
— Peut-être. Mais là n’est pas vraiment la question. En exigeant que j’entre dès maintenant au Séminaire, ma mère outrepasse ses droits.
Ce fut au tour de l’abbé Grinne de se raidir. Il était peu habitué à un ton aussi agressif de la part d’un élève :
— Comment l’entendez-vous ? N’étiez-vous pas d’accord elle et vous, au sujet de votre avenir ?
— En aucune façon ! Évidemment, elle n’a jamais caché son désir de me voir prendre la soutane et tant que j’étais enfant je n’y voyais guère d’inconvénients. D’abord parce que je ne savais pas très bien ce que cela signifiait et puis, parce qu’il me semblait souhaitable d’imiter mon parrain… ou mes maîtres. Mais, voici un an déjà, j’ai laissé entendre à ma mère que je n’étais pas sûr de ma vocation… et il y a deux mois, je lui ai écrit pour lui dire que je désirais un autre avenir. J’avoue qu’elle n’a pas répondu à ma lettre.
— En aviez-vous discuté avec elle auparavant ?
Gilles eut un sourire amer.
— On ne discute pas avec ma mère, Monsieur. Elle a paru écouter ce que je lui disais mais je me demande si elle m’a seulement entendu ! Quoi qu’il en soit, il demeure que je ne veux pas être prêtre et qu’elle n’a pas le droit de m’y forcer.
François Grinne ne répondit pas tout de suite. Tandis que ses doigts minces, jaunis par le tabac qui était son seul péché, roulaient pensivement la lettre de Marie-Jeanne Goëlo, il examinait le jeune homme. Sa réaction brutale ne l’étonnait pas autrement car du jour où il avait appris qu’on le destinait au sacerdoce, il s’était discrètement intéressé à son comportement et la réalité de sa vocation supposée lui avait laissé des doutes. C’était une nature passionnée, violente parfois mais secrète, avec d’étranges maîtrises fort au-dessus de son âge.
Silencieusement, l’Abbé détailla son élève, avec autant d’attention que s’il le voyait pour la première fois mais avec une curiosité neuve. Gilles était très grand, à la fois pour son âge et pour un Breton. Ses longues jambes et ses épaules solides gardaient quelque chose d’osseux, d’inachevé mais la façon insolente qu’il avait de porter sa tête aux épais cheveux blonds toujours indisciplinés, une naturelle harmonie de mouvements qui lui permettait de porter avec élégance un disgracieux costume de drap noir, tout cela annonçait pour plus tard un homme sûr de lui et, pour l’heure présente, le différenciait nettement de ses compagnons.
Passant au visage, l’Abbé eut l’impression bizarre de le découvrir, peut-être parce qu’il ne l’avait pas regardé depuis longtemps. Ce n’était plus le visage enfantin de naguère mais un masque déjà viril, malgré la tendresse encore juvénile de la bouche serrée au pli volontiers moqueur. Les traits étaient fins mais nets et fiers, les maxillaires avaient de la puissance, le nez, légèrement busqué, de l’arrogance et, sous les sourcils droits au dessin légèrement oblique, les yeux d’azur pâle, presque gris, sous lesquels Yann Maodan s’était senti si mal à l’aise avaient des reflets glacés. Quant aux mains, peu soignées, elles étaient d’un dessin admirable… En bref, tout dans ce garçon à l’allure nonchalante proclamait l’ardeur et la vitalité d’une race difficile à discipliner… jointes à une séduction dangereuse pour un homme de Dieu.
« Si sa mère espère en
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