Le Gerfaut
et un gamin sans importance en face d’une poignée de brutes. Du moins le ressentait-il ainsi car eût-il eu plus d’expérience et moins de naïveté qu’il eût compris que, justement, les hommes de Yann Maodan ne l’avaient pas traité en ennemi négligeable.
Enfermé dans sa chambre dont il n’ouvrait la porte que pour l’écuelle de soupe et la cruche d’eau de la servante, il remâcha sa colère et son humiliation. La mise en demeure qui lui avait été signifiée de ne plus franchir le seuil de Manon lui pesait comme un boulet et, si lui seul avait été en cause il fût retourné, le soir même, dans la maison de la porte du Boureau. Mais il ne se reconnaissait pas le droit de faire courir à la petite servante un danger qu’il devinait redoutable. Il ne pouvait payer en monnaie de malheur les heures charmantes qu’il lui devait. D’ailleurs, Manon oserait-elle encore lui ouvrir sa porte ?
Durant des heures fiévreuses, il rêva de mener une troupe à l’assaut de l’ Hermine Rouge, de fondre, l’épée à la main, sur Yann Maodan et sur le Nantais, de nettoyer une bonne fois pour toutes ce nid à rats… mais, en fait d’épée flamboyante, il ne savait même pas tenir convenablement une lardoire.
Bien sûr, il eût peut-être été possible d’aller porter une plainte au Prévôt de la Sénéchaussée mais le rôle de dénonciateur même vis-à-vis d’un forban lui répugnait instinctivement. Non, ce qu’il lui fallait, maintenant, c’était apprendre à rendre coup pour coup, à se battre et à devenir l’un de ces hommes redoutables, tels certains capitaines corsaires fameux que respectent aussi bien les bandits que le pouvoir établi. Et, pour en arriver là, il lui fallait d’autres outils qu’un seau d’eau bénite et un goupillon.
Comme un voyageur qui explore l’état de ses bagages et le fond de sa poche avant de se lancer sur les chemins, Gilles, assis les coudes aux genoux devant le maigre feu de sa cheminée, passa la revue de ses connaissances et de ses possibilités. Sa culture, surtout livresque, était honnête quoique sans éclat, en dehors d’une excellente connaissance de l’anglais qu’il devait d’ailleurs à son parrain. Quant au côté pratique, il offrait un résultat presque entièrement négatif. Certes, il nageait comme un marsouin, savait naviguer à la voile autant qu’un fils de pêcheur et possédait une vigueur nettement au-dessus de la moyenne. Mais il ne savait pas monter à cheval (lui qui les adorait) il ignorait tout de l’art de la guerre ou même du simple combat à main nue et il n’avait jamais touché une arme de sa vie. Sa mère, toujours hantée par ses idées mystiques, lui avait interdit jusqu’à l’usage de la lutte bretonne, ce sport séculaire qui ne comportait cependant aucune arme.
Concluant de tout cela qu’il était temps de changer de direction, il écrivit alors deux lettres, l’une à sa mère, l’autre à l’abbé de Talhouët, aux termes desquelles, très respectueusement, il leur faisait part de son désir formel de renoncer à l’Église pour préparer l’examen d’entrée d’une école militaire où les garçons sans naissance pouvaient être admis : l’école d’artillerie de Metz par exemple.
Ce n’était pas vraiment de gaieté de cœur qu’il avait pris pareille décision car, s’il entrait à Metz, il se condamnerait, sans doute possible, à une espèce de purgatoire. Il lui faudrait végéter longtemps, certainement, dans les grades subalternes en admettant que l’éloignement lui permit de cacher sa tare originelle à ses camarades mais l’amère histoire de Jean-Pierre Quérelle lui avait fait toucher du doigt les dangers de l’aventure tentée sans préparation. Avant de se lancer à la conquête de la vie, il voulait acquérir les connaissances qui lui faisaient si cruellement défaut.
Il hésita un instant à écrire une troisième lettre, destinée, celle-là, à Manon pour lui dire ses regrets de devoir renoncer à la revoir mais il songea que Yann Maodan avait sans doute fait peser sur elle une partie de son mécontentement et qu’un billet risquerait peut-être d’aggraver les ennuis de la jeune femme. Il abandonna l’idée… quitte à retourner chez Manon plus tard quand les choses seraient calmées. D’ailleurs il y avait gros à parier que Manon ne savait pas lire…
Sa décision une fois prise et ses bleus un peu atténués, Gilles, l’esprit plus tranquille,
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