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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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précipita un boisseau de farine d’avoine. Des pas se rapprochaient, des pas lourds qui raclaient un peu les galets du couloir trahissant une grande fatigue.
    Quand il le vit entrer dans la cuisine, avec sa grande pèlerine noire alourdie d’eau, Gilles pensa que son parrain avait changé depuis la Toussaint. À quarante-trois ans, l’abbé Vincent-Marie de Talhouët-Grationnaye 3 en paraissait bien davantage. Sa taille se courbait un peu et, entre la soutane noire et la perruque blanche, le visage bien dessiné, ouvert et toujours si affable portait les traces d’un labeur incessant et d’une grande lassitude.
    — Le temps change encore, ma bonne Katell ! soupira-t-il d’une voix douce en secouant ses épaules trempées. Voilà que le vent nous a ramené la pluie…
    Il s’interrompit en découvrant découpée sur le fond rougeoyant de la cheminée, la silhouette de celui qui l’attendait. La stupeur et une vague inquiétude arrondirent un instant ses yeux clairs.
    — Toi ici ? Mais comment se fait-il ? Tu as reçu de mauvaises nouvelles ? Ta mère n’est pas…
    Gilles salua comme il eût salué le Roi lui-même.
    — Si j’ai reçu de mauvaises nouvelles, du moins ne concernent-elles que moi, Monsieur. Ma mère va bien, j’ai tout lieu de le penser. Mais je vous demande bien pardon d’arriver ainsi chez vous sans vous avoir prévenu.
    — Tu sais que tu n’as pas à prévenir, que la maison t’est toujours ouverte… surtout si, comme je crois le deviner tu as quelque chose de grave à me dire.
    — C’est vrai, Monsieur. Quelque chose de très grave mais qui, je pense, ne sera pas une surprise pour vous.
    L’Abbé hocha la tête, visiblement de plus en plus soucieux.
    — Eh bien, allons dans ma chambre et laissons Katell à sa cuisine.
    Ils quittèrent la grande salle chaude où Katell, marmottant toujours, commençait à mettre le couvert et gagnèrent l’étage où, sur un palier glacial, ouvraient les chambres abritant le Recteur et ses vicaires, trois en résidence continuelle, le quatrième, l’abbé Duparc spécialement chargé du hameau de Saint-Gilles résidant sur place à la Vicairerie.
    Celle de M. de Talhouët était une pièce lambrissée mais très modestement meublée, sans tapis ni rideaux. Le seul luxe de cette chambre était, avec le feu de la cheminée, une petite bibliothèque garnie de quelques beaux livres dont les reliures patinées par un long usage luisaient doucement de leurs ors ternis. Livres de piété ou d’histoire pour la plupart parmi lesquels se glissaient quelques ouvrages de Voltaire hérités d’un paroissien farceur et dont l’Abbé n’avait conservé que les moins choquants pour son âme pieuse.
    Il fit asseoir son filleul sur l’unique chaise et s’installa lui-même sur son lit, de préférence à sa table de travail pour éviter toute attitude susceptible d’évoquer un jugement.
    — Je t’écoute, dit-il, mais suis-je dans l’erreur en pensant que ta visite de ce soir a quelque chose à voir avec la lettre que tu m’as écrite voici deux mois ?
    — Vous ne vous trompez pas, Monsieur. Voulez-vous me permettre de vous demander pourquoi je n’ai pas reçu de réponse ?
    L’abbé sourit.
    — Que la jeunesse est impatiente ! Je ne pouvais rien te répondre tant que je n’en avais pas fini avec ta mère. Or, tu le sais parfaitement, on ne discute pas facilement avec elle quand il s’agit de ses convictions. Mais je ne désespère pas avec du temps de l’amener…
    — Non, Monsieur, coupa Gilles. Elle ne changera jamais et c’est parce que aujourd’hui j’en ai eu l’assurance que je suis venu à vous.
    Et il raconta ce qui s’était passé dans le cabinet de l’abbé Grinne. Il le fit brièvement, calmement, et avec une fermeté qui frappa son interlocuteur. Comme le sous-principal tout à l’heure, M. de Talhouët eut soudain conscience d’avoir en face de lui un être différent, presque un inconnu. Il en éprouva peu de surprise mais une sorte de tristesse jointe à la bizarre excitation d’un spectateur qui, au théâtre, attend le lever du rideau.
    Il écouta jusqu’au bout sans mot dire. Et même quand s’éteignit la voix du jeune homme, il laissa le silence s’installer entre eux tandis qu’il se levait pour aller tisonner le feu et y jeter une nouvelle bûche. Mais il ne revint pas prendre sa place sur le lit et demeura debout devant la cheminée offrant ses mains à la

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