Le Gerfaut
Morvan.
— Qu’est-ce que tu imagines ? Qu’on va se battre en duel ? Un gratte-papier bâtard contre un cavalier du Roi ? Les gens de ta sorte, on ne les touche qu’avec une houssine ou un bâton ! Allez, vous autres ! Attrapez-le-moi ! On va lui donner ce qu’il mérite. Mais attention ! ne l’abîmez pas encore.
Sous l’insulte, les mâchoires de Gilles s’étaient crispées. La bouffée de fureur qui flamba tout à coup en lui le poussa à oublier toute prudence. Sans plus songer à protéger ses arrières, il bondit sur Morvan l’épée haute.
— Je vais te montrer qui est bâtard, maudit pleutre qui refuses de te battre…
Un hurlement de rage souligna le dernier mot. Atteint au visage d’une longue estafilade, Morvan porta à sa joue blessée une main qui rougit instantanément, recula mais vociféra.
— Prenez-le, Bon Dieu ! Qu’est-ce que vous attendez ?
Les trois hommes, avec un bel ensemble, tombèrent sur Gilles qui, pris à revers, fut incapable de se défendre. En un instant il fut maîtrisé, dépouillé de sa veste et de sa chemise sur un geste de Morvan, attaché par les poignets à une corde vivement jetée par-dessus l’une des poutres du plafond et, dans cette position, hissé de quelques pouces au-dessus du sol.
— Que prétendez-vous faire ? fit-il toujours aussi calmement. Dois-je vous rappeler que j’ai été envoyé par M. de Rochambeau pour lui ramener l’Indien, qu’il l’attend ?
Impressionné peut-être, l’un des hommes bredouilla quelque chose sur le fait qu’il « valait peut-être mieux pas se créer des histoires » mais Morvan se mit à ricaner.
— À d’autres ! Qu’est-ce que le Général peut avoir à faire d’un gamin crasseux ? Et en admettant même que ce soit vrai ? Nous, on n’est pas obligés de le savoir et, comme il ne verra revenir ni lui ni toi ! Car mets-toi bien ça dans la tête quand on en aura fini avec toi, tu n’auras plus beaucoup de peau ni de viande sur les os, vermine ! Je vais te montrer ce qu’il en coûte de jeter un gentilhomme dans la boue.
— Tu n’avais pas besoin de moi pour ça, ricana Gilles à son tour. Quant au gentilhomme ! Je ne te savais pas si noble Samson la Rogne !
Pendant ce temps l’homme qui ressemblait à Lucifer débouclait son ceinturon et en enroulait la lanière autour de son poignet de façon à laisser la boucle libre. C’était lui, de toute évidence, qui allait remplir l’office de bourreau. Sans doute, le pseudo-Samson avait-il l’art de se faire des amis… ou des complices.
Tout le poids de son corps tirant sur ses poignets déjà douloureux, Gilles essaya vainement de saisir la corde entre ses doigts pour les alléger, ferma les yeux et, instinctivement, banda ses muscles contre la douleur qui allait venir, priant de toutes ses forces pour qu’elle ne lui arrachât pas un seul cri car il ne voulait pas donner à son ennemi l’affreuse joie d’entendre ses plaintes. Le moment était venu pour lui de recommander son âme à Dieu.
Une douleur fulgurante brûla son dos tandis que son corps déplacé par le choc commençait à se balancer doucement. Des larmes fusèrent sous ses paupières closes mais aucune ne franchit le double barrage de ses dents serrées et de ses lèvres. La ceinture siffla de nouveau et la douleur s’accrut car l’ardillon d’acier avait déchiré la chair tandis que le balancement accentuait la torture des poignets. Une légère nausée monta de l’estomac de Gilles qui attendait le troisième coup. Mais ce coup ne vint pas. En revanche, Morvan vint se placer en face de lui.
— Maintenant que tu sais ce qui t’attend, causons ! fit-il d’une voix pateline qui fit ouvrir les yeux de sa victime.
— Causer… Je n’ai rien à te dire, crapule !
— Que si ! Tu as au contraire bien des choses à dire… des choses qui te permettront d’avoir encore un peu de peau sur le dos quand je te tuerai… très vite, je te le promets. Tu vois, en venant ici tu nous as rendu un grand service parce que justement on avait l’intention d’aller te chercher, mes amis et moi.
— Pourquoi ? Parce que tu n’aimes pas l’eau du Blavet ?
— Pas beaucoup mais ça c’est une autre histoire. Ce qui m’intéresse ce sont les petits secrets du Général. Tu es son secrétaire, donc tu dois être un peu son confident. Alors tu vas bien gentiment nous parler de l’or…
— L’or ?
— Allons, ne fais pas l’innocent !
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