Le glaive de l'archange
mépris de sa mère. Car, aux yeux de Judith, le fait que Raquel ait pu se trouver seule et sans protection pendant toute une nuit était lourd de conséquence.
— Dame Isabel a été enlevée, semble-t-il, par un riche marchand qui désire l’épouser. Raquel a été emmenée en même temps pour protéger la santé et l’honneur de la demoiselle. Elles n’ont pas été séparées un seul instant depuis leur départ du couvent. Elles n’ont pas vu le gentilhomme en question. L’affaire reposait sur deux ou trois de ses fidèles serviteurs.
— Où sont-elles à présent ?
— Dans une auberge, sur la route de Barcelone.
— Une auberge, dites-vous ? Entourées de voyageurs, de vagabonds et de soldats ?
— Elles ont deux chambres, une bonne serrure et une servante qui ne se consacre qu’à elles. Don Tomas me l’a assuré et…
— Don Tomas ? Qui est ce Don Tomas ?
— C’est le secrétaire de la reine, ma chère. Il se rendait à Gérone en mission royale quand il a rencontré le petit groupe qui venait dans l’autre sens. Il dit que Raquel a attiré son attention en lui faisant comprendre très intelligemment qu’elles n’étaient pas là de leur plein gré. Il les a sauvées de leurs ravisseurs, en a tué un et a chassé les autres. Puis il les a escortées jusqu’à cette auberge où il les a confortablement installées.
Il se garda avec soin d’évoquer l’âge du jeune homme et sa belle allure.
— N’êtes-vous pas heureuse de voir que votre fille vous est rendue ?
— Si vous êtes sûr qu’il ne lui est rien arrivé…
— J’en suis certain, mon amour.
Judith leva les yeux et remarqua pour la première fois le visage de son mari depuis qu’il était arrivé.
— Vous êtes malade ! s’écria-t-elle. Isaac ! Qu’est-ce qui ne va pas ?
— Rien, mon amour. Si je suis pâle, c’est parce que je n’ai pas beaucoup dormi ni mangé, et…
— Que vous ayez dormi ou pas, je ne puis le dire, fit Judith, pleine de ressentiment, depuis que vous m’avez chassée de votre chambre, mais je sais que vous n’avez rien mangé. Rien depuis hier matin. Naomi ! appela-t-elle.
Avec l’efficacité et l’organisation qui la caractérisaient, Judith mobilisa toutes les ressources de la maisonnée pour fêter le retour du maître.
Berenguer dépêcha un messager à l’abbesse Elicsenda, puis il entreprit, péniblement et très soigneusement, d’écrire une autre lettre à Sa Majesté. C’est avec un certain soulagement qu’il entendit frapper à la porte.
— Un messager est arrivé, Votre Excellence, dit le serviteur. Il vous a apporté ceci. Il a précisé qu’il n’attendait pas de réponse.
Berenguer prit la lettre, examina le sceau et soupira.
— Attends ici, fit-il. Non… dis-leur de retenir le messager et de lui offrir un rafraîchissement tant que je lis ceci. Ensuite, reviens auprès de moi.
C’était une lettre de Sa Majesté en personne. Elle était brève et concise, comme toutes les communications que lui adressait Don Pedro. Le roi allait arriver le lendemain avec ses hommes. Le roi et ses officiers s’installeraient au palais.
— Trouve-moi le vicaire, veux-tu ? dit-il au serviteur qui revenait en haletant. Informe-le que des visiteurs sont attendus, puis demande-lui de venir me voir. Préviens aussi les cuisiniers de faire chauffer leurs fourneaux et de cuire du pain.
Une visite royale était toujours une malédiction. Une visite royale imprévue pouvait tourner au désastre.
Quand Isaac eut mangé et que Judith fut partie organiser les tâches vespérales dans la maison, Yusuf gratta à la porte.
— Maître ? appela-t-il doucement, car il espérait éviter sa maîtresse ou Ibrahim.
— Yusuf ? fit Isaac en allant ouvrir la porte. Tu rentres bien tard. As-tu mangé ?
— Non, seigneur.
— Prends ce qui reste sur la table. S’il reste quelque chose.
— Il reste beaucoup, dit Yusuf en examinant les reliefs du repas d’Isaac.
Il plaça un morceau de poisson sur du pain et l’engloutit comme s’il mourait de faim.
— Je viens de la taverne de Rodrigue, expliqua-t-il dès qu’il eut avalé. Ils tenaient une réunion du conseil de la Confrérie du Glaive.
— C’est un peu insensé, mon garçon. Est-ce que l’on t’a vu ? Quelqu’un t’a-t-il reconnu ?
— Personne, seigneur, dit-il en reprenant du poisson. J’avais mis mes vieux habits, ceux que Johan m’avait gardés, et je me suis
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