Le glaive de l'archange
il y a quelque temps déjà. Hier soir, avant le coucher du soleil.
Tomas sentit le sang quitter son visage.
— Que veux-tu dire par là ?
— Ce que je veux dire, messire, c’est que le père de la dame est venu la chercher.
— Son père ? répéta Tomas, qui essayait d’imaginer Pedro, roi d’Aragon et comte de Barcelone, dans toute sa majesté, dans cette auberge, en train de négocier avec l’homme qui se tenait à présent devant lui. Tu es certain ?
— Le gentilhomme a dit qu’il était son père. En tout cas, il avait l’âge de l’être.
— À quoi ressemblait-il ?
— Ce n’était pas une beauté, fit l’aubergiste en riant. Plutôt petit. Bien nourri, la peau grêlée. Des cheveux bruns, enfin ce qu’il en restait.
— Ah oui, dit Tomas.
— Vous le reconnaîtriez facilement. Il était plutôt satisfait de la retrouver. Il a payé la note et un peu plus. Elle et la dame qui l’accompagnait n’étaient pas trop heureuses de partir avec lui, si cela peut vous rassurer. Votre jolie maîtresse m’a demandé de vous dire qu’elle avait raison à son propos. Elle a ajouté que vous comprendriez.
— Merci, aubergiste. Je vais prendre un peu de viande froide et de pain avant de repartir. Ont-ils dit où ils se rendaient ? demanda Tomas en faisant tinter des pièces dans le creux de sa main.
— Pas un mot là-dessus, messire, mais à mon avis, ce n’était pas très loin. Le soleil allait se coucher quand ils sont repartis et ils voulaient atteindre leur destination avant la nuit noire.
Les pièces tintèrent à nouveau.
— Quelqu’un a remarqué deux chevaux gris tirant une litière sur la route de Valtierra.
Les pièces changèrent de main.
— Ils ont emmené les chevaux ?
— Ils ont dit que c’étaient les leurs, messire. Je n’avais aucune raison de ne pas les croire.
— Même la jument ?
— Même la jument.
— Pauvre Blaveta. J’espère quand même la revoir…
— Moi aussi, messire, dit l’aubergiste. Je vous apporte du pain et de la viande.
La route de Valtierra menait aussi à la finca de Doña Sanxia. C’était là, sans le moindre doute possible, que les jeunes femmes avaient été conduites. Il n’était pas difficile d’imaginer ce qui s’était passé, même sans les précieux commentaires de dame Isabel. La description de son « père » suffisait. Les complices de Romeu l’avaient suivi jusqu’à l’auberge, puis ils étaient allés rendre des comptes à Montbui. Il était accouru, avait soudoyé l’aubergiste et avait emmené les jeunes femmes.
Le cheval de Tomas était encore frais, la distance n’était pas trop grande et le soleil se levait tout juste. Il pouvait arriver à la finca à temps pour les sauver.
Il prit le pain et la viande que lui apporta l’aubergiste, le paya et sortit précipitamment de la cour. Il mangea une bouchée en guise de déjeuner, garda le reste, enfourcha Castanya et se dirigea vers la finca à bride abattue.
— Il désire m’épouser le plus tôt possible, avait dit à voix basse Isabel.
Deux hommes les avaient conduites dans une grande chambre, à l’étage supérieur de la finca de Doña Sanxia, et les y avaient enfermées. La gouvernante était revenue avec de la nourriture, de l’eau et du vin. Elle avait aussi désigné un coffre empli de vêtements. C’était ce coffre qui avait déclenché la remarque de dame Isabel.
Depuis l’instant où Montbui et ses deux acolytes avaient fait irruption dans l’auberge, dame Isabel n’avait pas prononcé une seule parole et elle avait refusé toute assistance hormis celle de Raquel. Elle avait fait des efforts surhumains pour monter et descendre de la litière, puis avait pénétré dans la demeure en boitant de manière pathétique. Elle s’affaissait comme un lys flétri. Raquel la soutenait avec héroïsme. Haletante, la main sur le cœur, Isabel avait lentement monté les marches de l’escalier. Une fois dans la chambre, elle s’était effondrée dans un grand fauteuil, la tête rejetée en arrière, apparemment trop épuisée pour faire le moindre mouvement.
— Il a dit cela ? lui demanda Raquel sur le même ton.
— Quand aurait-il pu le faire ? Je vous ai gardée auprès de moi depuis notre arrivée à l’auberge.
— C’est vrai.
Isabel fronça les sourcils et se mordilla le côté du doigt.
— Il ne peut rien faire avant le matin. Nous sommes en sécurité jusque-là.
— Vous en êtes
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