Le glaive de l'archange
un professeur.
— Je m’occuperai de lui, maman, dit Raquel. Je ferai de mon mieux.
— Ce ne sera pas possible. Il est temps que tu te maries, Raquel.
— Que je me marie ?
— Reb Samuel a reçu pour moi une lettre de ma sœur Dinah, celle qui habite à Tarragone. Elle dit que Ruben, le neveu de son mari, a besoin de prendre femme.
— Tarragone ! s’écria Raquel. Je ne veux pas aller si loin, maman ! Papa, dites à maman que je ne peux pas aller si loin !
— Emmène Yusuf et apprends lui quelque chose, dit Judith. J’ai besoin de parler à ton père.
— Elle a presque dix-sept ans, Isaac. Et à Tarragone, nul n’a entendu parler de sa disgrâce.
— Sa disgrâce ? Mais elle n’a même pas été touchée, Judith. Et elle a fait preuve de courage et de pudeur. Je suis fier d’elle.
— C’est possible, mais le reste du monde ne verra pas les choses ainsi.
— Je ne prendrai pas de décision immédiate, Judith. J’insiste pour que nous attendions. Il se peut que j’aille à Tarragone dans moins d’un an. J’y réfléchirai alors.
— Que feriez-vous à Tarragone ?
— L’évêque m’a demandé d’être son médecin personnel. Voyez-vous, ma chère, l’archevêque l’a convié au conseil général de l’Église, l’année prochaine, qui se tiendra à Tarragone, et il veut que je l’accompagne. Si j’accepte, Raquel pourra venir avec moi. Et que j’accepte ou non cette charge, je ne puis me passer d’elle tant que Yusuf n’aura pas reçu l’éducation qui lui permette de prendre sa place. Ce n’est pas pour demain.
— Le médecin personnel de l’évêque, répéta Judith. Cela signifie-t-il que vous dormirez enfin la nuit à la maison ?
— Oui. À moins que nos voisins ne m’appellent. Ou d’autres patients.
Dans la pénombre, un oiseau se décida enfin à emplir la cour de son chant, et Isaac s’arrêta de parler pour l’écouter.
— Judith, venez vous asseoir avec moi près de la fontaine. Je veux que vous réfléchissiez à quelque chose, et je tiens à ce que vous soyez à mes côtés pour ce faire.
— De quoi s’agit-il, Isaac ?
Elle quitta la table et prit son mari par la main. Ils s’assirent près de la fontaine.
— C’est Rebecca. Attendez… ne dites rien tant que je n’ai pas parlé. Elle a besoin de sa mère. Elle aimerait vous voir et vous montrer son enfant. C’est tout ce qu’elle demande pour l’instant. Ne répondez pas tout de suite, parce que vous diriez non, mais pensez-y de temps en temps.
— Rebecca est morte.
— Vous pouvez dire tout ce que vous voulez, Judith, mais ce n’est pas vrai. Elle est bien en vie et elle mène une existence vertueuse. Vous lui manquez. Il n’y a pas de mal à pardonner. Judith, ma chérie, dit-il en lui prenant la main, c’est très important pour moi.
Elle posa son autre main sur la sienne.
— J’y penserai de temps en temps si vous le souhaitez, Isaac. Je ne comprends pas comment je pourrais changer d’avis, mais j’y penserai.
L’obscurité tombait sur la cour. À l’étage, les cris des jumeaux cessèrent et on n’entendit plus que les voix de Raquel et de Yusuf qui étudiaient les lettres de l’alphabet latin.
— Isaac, j’ai parlé à la femme du rabbin. Elle croit qu’elle va avoir un autre enfant. Elle m’a raconté que vous lui aviez dit qu’elle portait un enfant, un beau garçon, avant qu’elle-même en prenne conscience. Comment le saviez-vous ?
— Ai-je dit cela ? fit Isaac.
— Oui.
— Je devais délirer. Mais je me souviens maintenant que quelque chose dans sa façon de parler m’a fait penser qu’elle était grosse. Mais de là à dire que c’est un garçon plein de vigueur, non, il faut arrêter ce genre de chose. Vous me comprenez ?
— Non. D’ailleurs, je ne vous comprends jamais, Isaac, dit-elle humblement. Je suis heureuse que cette semaine s’achève. Vous m’avez paru si loin de moi. Vous m’avez manqué.
Elle lui effleura le visage.
— Comment vont vos blessures ? Et vos côtes ?
— Cela fait mal, mais j’ai encore plus souffert de passer toutes ces nuits sans vous, mon amour. Vous êtes une épouse bonne et loyale, ainsi qu’une très belle femme.
— Vous ne pouvez me voir, pourtant.
— Si, mon amour, je le peux. La passion est un habile médecin, qui accorde la vue même à l’aveugle.
Judith se leva et prit son mari par la main.
— Venez vous coucher, dit-elle doucement.
NOMS ET
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