Le glaive de l'archange
sortit de dessous son banc.
— Rodrigue ! cria la femme de l’aubergiste. J’ai attrapé un voleur !
Elle s’empara du bras de Yusuf sans pour autant lui lâcher le cou.
— Va chercher les officiers !
Ce fut un déchaînement général.
Une voix rigolarde brailla :
— Laisse-le partir, la mère, et va nous chercher un pichet !
— Qui est-ce ? demanda l’un des plus curieux.
— Quelqu’un a une corde ? fit un autre en riant, et toute sa tablée éclata de rire.
Rodrigue sortit de la cuisine pour voir ce qui se passait. Il chercha à s’approcher, empêtré par des consommateurs quelque peu éméchés. Le gros fermier aux chansons grivoises se leva et renversa son banc, précipitant dans sa chute deux hommes de plus petite taille. Quand il se retourna pour constater les dégâts, il heurta violemment le plateau de la table, qui bascula avec tout ce qu’il soutenait sur les buveurs installés de l’autre côté.
Yusuf se débattit et fit des bonds de côté avec toute l’agilité dont il était capable. Cela ne servit à rien. Il s’était bel et bien fait prendre. Il eut vaguement conscience que la portière à sa droite s’entrouvrait. Une voix posée parla à l’oreille de la femme de Rodrigue :
— Qu’as-tu donc ici, maîtresse ?
— Un voleur, fit la femme. J’ai envoyé le marmiton trouver les officiers.
— Allons, maîtresse, qu’est-ce que cela te rapportera de le livrer aux officiers ? s’empressa de répliquer la voix posée. Je te donnerai une belle pièce d’argent en échange – sans que tu poses de questions.
— Une pièce contre lui ?
— Il a l’air d’un bon garçon, assez joli malgré sa crasse. Je crois le connaître. Il n’y aura aucun problème, ne te fais donc pas de souci.
Il tendit la main. Malgré la pénombre, une pièce d’argent brillait dans sa paume. La femme de Rodrigue lâcha le bras de Yusuf pour s’emparer de la pièce.
Rodrigue traversa la pièce avec une allure de taureau. Il abattit sa main sur la tête du garçon avec une telle force que ses oreilles tintèrent et qu’il en vit des étoiles. Le coup le précipita contre un banc, le dégageant par là même de l’emprise de la femme. Yusuf roula sur lui-même, rebondit sur ses pieds et s’enfuit. Il sauta par-dessus le banc et la table renversés et s’élança dans les escaliers.
Comme il dévalait quatre à quatre les marches conduisant à la porte de l’auberge, la voix furibonde de la femme de Rodrigue résonna :
— Qui m’a flanqué un balourd pareil ? Tu sais combien tu viens de nous faire perdre ?
Yusuf se glissa entre deux clients et disparut dans le crépuscule. Il courut dans la rue, emprunta une ruelle puis une autre, plaqué aux murs sombres, loin du regard curieux des passants. Enfin, une fois passé la porte nord de la ville, il s’arrêta. La tête lui tournait toujours et son nez lui faisait mal. De grosses gouttes de sang s’écrasèrent à ses pieds et des larmes lui montèrent aux yeux malgré tous les efforts déployés pour les retenir. Il tituba, tomba, se releva et se dirigea résolument vers l’établissement de bains. Il ouvrit la porte, trébucha sur les marches et se jeta dans les bras du gros Johan.
Tomas revenait du palais épiscopal. Il s’arrêta pour contempler la place. On lui avait offert toutes sortes de choses quand il s’était présenté : un lieu d’attente confortable, un rafraîchissement et le moyen de se débarrasser de la poussière du voyage. Tout ce qu’il désirait, en un mot, hormis l’évêque. Celui-ci revenait du couvent et il pouvait bien être en train de faire un tour de ville avant vêpres. « On ne sait jamais avec monseigneur, lui avait dit le vicaire appelé à la hâte. Il peut se trouver n’importe où. »
— Le voilà, murmura une voix à son oreille.
C’était à nouveau le vicaire, qui lui indiquait la cathédrale. Deux hommes, l’un barbu, grand et large d’épaules, l’autre glabre, plus petit mais puissamment bâti, marchaient côte à côte, en grande conversation. À en juger d’après leurs tuniques, l’évêque était certainement celui qui avait l’air d’un lutteur.
— Avec qui parle-t-il ? demanda Tomas.
— Je crois que c’est le médecin de Son Excellence, dit Francesc Monterranes. Un certain Isaac. Un praticien des plus doués.
— Ce sont les deux hommes que je souhaite rencontrer. Merci, messire, de votre courtoisie.
— Vous pourriez
Weitere Kostenlose Bücher