Le glaive de l'archange
Raquel ? appela-t-elle.
Elle attendit qu’apparaisse sa fille cadette.
— Judith ? appela Isaac à travers la porte. Où êtes-vous ?
— Je suis ici, Isaac, dit sa femme en revenant sur ses pas. J’ai demandé à Raquel d’aller chercher Naomi et de réconforter sa sœur. Mais c’est bien vrai ? ajouta-t-elle d’une voix toute faible. Benjamin est…
— Mort, oui, soupira Isaac d’un air las. Comme tous les autres.
Il se tourna vers la cour pleine de lumière.
— Son corps doit être déshabillé et lavé sans attendre.
Il se baissa machinalement pour faire passer sa haute stature sous la porte et marcha jusqu’à la fontaine.
— Mettez ses habits et ses draps au feu. Dites à Naomi d’allumer des bouquets d’herbes purificatrices et condamnez la pièce jusqu’à la fin de la contagion. Judith, si vous voulez bien m’apporter ma tunique de futaine, je me laverai et me changerai ici.
— Est-ce bien nécessaire ? demanda Judith, pâle de peur.
— Jusqu’à présent, ma chère, notre demeure a été épargnée par la peste. J’espère que nous pourrons continuer à la tenir à l’écart.
Isaac se débarrassa de tous ses vêtements et les jeta dans un baquet plein d’eau près de la fontaine. Puis il ramassa une large louche et s’arrosa abondamment d’eau froide.
— Mais vous nous avez tous tenus à l’écart de la pièce où il gisait. Sûrement…
— Certains prétendent que la contagion peut s’attacher à la chose la plus infime – une bague, une pièce de tissu – qui s’est trouvée en contact avec une personne infectée. S’il en est ainsi, ma tunique peut porter la maladie de moi vers vous, Judith, de notre maison vers une autre demeure. C’est pourquoi je dépose des potions pour les affligés, mais ne pénètre jamais chez eux.
— Voulez-vous dire que la contagion peut être lavée comme la poussière ? fit-elle d’un ton sceptique. Je n’y crois pas.
— Nul ne le sait. Je l’espère, en tout cas.
— Dans ce cas, comment Benjamin a-t-il été contaminé ? Il a toujours été très propre.
— Il est allé rendre visite à Hannah alors qu’elle gisait sur son lit de mort. Il me l’a avoué, dit Isaac, alors que la fièvre le dévorait.
— Ma pauvre sœur, fit sobrement Judith. Il est cruel de voir un fils puni pour avoir honoré sa mère.
— C’est vrai, dit Isaac d’un air sombre.
Il continua de verser de l’eau froide pour rincer le savon.
— Mais la peste a ses propres lois. Sa piété filiale l’a tué avant d’apporter la maladie dans notre maison. Nous devons faire tout notre possible pour la repousser.
— Je vais vous chercher un habit propre.
Le corps de son apprenti fut déposé sur une claie pour y être lavé et enveloppé de lin blanc. Déjà brûlait le feu purificateur, et la chambre où il était mort était emplie d’une fumée épaisse. Naomi referma la porte et tendit la clef à son maître.
— Isaac, dit sa femme, qui se tenait derrière lui, voici votre tunique. Habillez-vous. Votre nudité dérange Naomi.
— Naomi m’a vu nu avant ce jour, dit Isaac.
— C’était quand vous étiez un enfant, et non fort bel homme à l’apogée de sa virilité… dit sa femme en réprimant un gloussement. De telles pensées… alors que Benjamin gît à quelques pas de là, ajouta-t-elle en rougissant. Tenez… Voici votre tunique. Je fermerai la porte.
Isaac se tenait près de la fontaine et refermait les nombreux boutons de son ample tunique, portée très long comme le voulait son statut de médecin de quelques-unes des plus riches et plus puissantes familles de Gérone. À nouveau, il regarda autour de lui d’une manière hésitante.
— Judith ? appela-t-il timidement. Où êtes-vous ?
— Je suis ici, Isaac. Près des escaliers. Qu’y a-t-il donc ?
Inquiète, elle s’approcha vivement de lui.
— Restez un instant avec moi dans la cour. Ma très chère, ma belle Judith, restez ici, la lumière sur votre visage. Je veux vous regarder.
— Mes yeux s’affaiblissent, mais ce n’est pas seulement cela, dit Isaac après qu’ils se furent installés sur un banc, sous la charmille. Vous étiez au courant. Chaque matin apporte une nouvelle détérioration. Depuis plusieurs jours, je vis dans un monde d’ombres, et je crains de bientôt ne plus pouvoir faire la distinction entre lumière et obscurité. Jusqu’à ce qu’il tombe malade, Benjamin était capable de me décrire
Weitere Kostenlose Bücher