Le Glaive Et Les Amours
dormir. Ce
qui se fit, et le lendemain matin, en effet, la dame était sur pied.
*
* *
— Monsieur, un instant de grâce !
— Belle lectrice, je vous ois.
— Monsieur, permettez-moi de vous dire que vous aimez
trop le gentil sesso. Cela fausse votre jugement.
— Dois-je vous croire ? Donnez-moi un exemple.
— Vous faites un portrait beaucoup trop flatté d’Anne
d’Autriche. Vous semblez oublier qu’elle fut tout Espagnole et qu’elle a trahi
le roi de France plus d’une fois en faveur de sa famille.
— Mais, m’amie, c’est du passé cela ! Je l’ai dit
et répété. Depuis la naissance de Louis, Anne est toute Française devenue.
— Et que de tartines, meshui, sur ses belles
mains !
— Mais avec ces belles mains, elle se testonne fort
gracieusement les cheveux. Elle se pimploche peu. À peine un peu de rouge sur
les lèvres, et c’est tout. Point de céruse ni de peautre sur les joues. Et
surtout, elle se baigne tous les jours, de la tête aux pieds.
— Mais moi aussi !
— Belle lectrice, vous êtes de votre temps, mais dans
le sien on se lavait fort peu.
— Fut-elle une bonne mère ?
— Excellentissime, comme eût dit Richelieu. Tout au
rebours de la Médicis qui, pour le pauvre Louis XIII, fut une mère
désaimante et rabaissante, Anne aime ses deux fils à la folie.
— Sans faire de différence entre Louis et
Philippe ?
— Nenni, sauf que pourtant elle porte au poignet un
bracelet fait des cheveux de son aîné… Mais c’est toujours ensemble que les deux
frères viennent le matin souhaiter le bonjour à leur mère dans son lit, et ne
croyez pas que ce soit froid et protocolaire. Tout le rebours. Ce ne sont que
poutounes et ococoulements. Et Anne viole de nouveau le protocole en prenant
ses repas avec ses fils.
Elle a choisi pour eux, avec le plus grand soin, des
confesseurs indulgents sur le chapitre de la chair, pensant sans doute que ceux
de Louis XIII avaient été responsables des difficultés qu’il avait eues
pour « parfaire son mariage », selon le mot fameux du nonce
apostolique. Louis XIV eut tout jeune l’œil très accroché par le tétin des
filles, s’éprit en sa dixième année d’une grande passion pour Madame de
Hautefort (qui avait une tête de plus que lui), l’appelait « ma
femme », et dès qu’elle était malade, grimpait sur son lit et serait allé
plus loin, si la belle y avait consenti. Mais elle craignait bien à tort l’ire
de la reine et resta dans la réserve. Ce n’était que partie remise, car il
était facile de prévoir que Louis serait plus proche du Vert-Galant que de son
père.
Anne, pour instruire le roi, lui donna d’excellents maîtres,
dont je dois dire en toute humilité que je fus, enseignant au jeune roi
l’espagnol et l’allemand, les langues de nos ennemis. La reine ne négligea pas
non plus son éducation politique, recevant en sa présence les ambassadeurs
étrangers, afin qu’il apprît à distinguer lesquels, parmi les pays étrangers,
étaient nos amis, et lesquels l’étaient moins. En outre, sachant qu’il devait
être un jour, comme son père et son grand-père, un roi-soldat, nulle parade des
gardes n’avait lieu sans qu’il fut avec elle présent. Lui-même avait de la
reine reçu, en son âge le plus tendre, une compagnie d’enfants d’honneur,
coiffée d’une gigantesque capitainesse, pour qu’il s’initiât au maniement de
l’épée et du mousquet. Il va sans dire que nos pimpésouées de cour en faisaient
des contes à l’infini : c’est ainsi que l’on sut que le roi, ayant prêté
son arbalète au jeune Brienne qui l’émerveillait par ses cabrioles, la reine
lui dit : « Je regrette, mon fils, que vous ayez perdu votre
arbalète. » « Mais, répliqua Louis, je ne l’ai pas perdue. Je l’ai
prêtée à Brienne. » Sur quoi la reine répondit avec quelque gravité :
« Sachez, Monsieur, que les rois ne prêtent pas : ils donnent. »
Au sujet de l’éducation des princes, Fogacer me dit un
jour : « Si le prince a de l’esprit, il n’y perd pas ses qualités
natives. Tout le rebours, il les accroît. S’il est sot, il ne gagne
rien. » Ce fut tout le rebours pour Louis XIV. Même avant d’apprendre
à lire, il savait ce qu’il était, et parlait en maître. Pendant la Fronde, il
avait dit un jour à son oncle Gaston d’Orléans, frère cadet de Louis XIII,
et intrigant incorrigible :
— Mon oncle, il faut que vous me
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