Le Glaive Et Les Amours
j’en fusse fort aise, je compatis chattemitement à
sa douleur, mais sans répondre à ses avances, voulant mettre quelque délai à
notre raccommodement. À dire le vrai, je lui avais gardé mauvaise dent de sa
trahison, et avant mon départir, emmitouflé dans ma carrosse, une chaufferette
sous les pieds, je tombai dans un grand pensement d’elle, lequel me fit grand
mal. Et d’autant que j’étais en même temps mordu par le remords d’avoir trahi
la meilleure des épouses. J’y perdais tout à trac ma philosophie ! Qu’est
la vie, m’apensai-je, si on n’aime pas les autres ? Mais pourquoi diantre
l’amour est en même temps délices et tourments, et comporte tant de quotidiennes
blessures ?
Chaque matin, avant de monter en sa carrosse, la reine
s’était fait, par ses femmes, testonner le cheveu et pimplocher le visage. Elle
m’appelait alors dans sa carrosse pour lui tenir compagnie, et je savais
pourquoi. Elle adorait les compliments, quoiqu’elle détestât qu’on eût
l’impertinence de lui faire la cour. À qui s’y essayait, elle répondait avec le
plus grand mépris : « Voyez un peu le joli galant ! Vous me
faites pitié ! Il faudrait vous envoyer aux petites maisons [40] . » En revanche, quand on lui
disait avec le plus grand respect que Sa Majesté paraissait ce matin se porter
à merveille, ayant l’œil vif, le teint clair et la bouche vermeille, elle était
ravie, mais sans le montrer le moindre, vous écoutant d’un air las et lointain.
Toutes les Cours d’Europe savaient par leurs ambassadeurs
qu’elle avait les plus belles mains du monde, et toute la Cour française savait
qu’il n’était pas nécessaire de lui en faire l’éloge. Il suffisait de les
regarder un peu longuement, comme si le regard ne se pouvait détacher d’un si
charmant objet.
À la vérité, tout en l’admirant prou pour l’inouï courage
qu’elle montrait à pacifier une à une ses provinces, parcourant des lieues et
des lieues, par tous les temps, sur de mauvaises routes, je trouvais qu’elle se
fatiguait beaucoup trop en ses perpétuelles pérégrinations. Et Fogacer, la
voyant pâlotte malgré ses fards, et la marche parfois hésitante, me dit qu’elle
devrait cesser de se mener à la cravache comme elle faisait, car, visiblement,
elle allait très au-delà de ses forces.
Et en effet, s’étant arrêtée dans un village de Guyenne pour
ouïr la messe, laquelle en son honneur avait duré un peu longtemps, à peine
était-elle sortie de l’église qu’elle chancela et se pâma, et serait tombée
sans les deux officiers de la Garde royale qui la flanquaient de dextre et de
senestre pour assurer sa sécurité. On porta la reine jusqu’à la proche demeure
du curé où Fogacer la rejoignit, flanqué de Babelon. Ils commencèrent par se laver
les mains, ce que faisait rarement le médecin (et bien à tort, disait mon
père), et décidèrent de faire à Sa Majesté une saignée. Mais Fogacer n’arriva
pas à découvrir la veine qu’il fallait, tant elle était petite et, de guerre
lasse, il appela Babelon à la rescousse, lequel réussit en un battement de cil
à trouver l’introuvable, ce dont il tira grande gloire dans les siècles des
siècles.
Pour moi – et plaise à ma belle lectrice de me pardonner, si
elle trouve à redire à ma délicatesse – j’osai, après coup, demander sotto
voce à Fogacer s’il avait trouvé la reine aussi belle dévêtue que vêtue. À
quoi il répondit : « Je n’ai rien remarqué. » Or, ce n’était pas
la pudeur, mais la vérité vraie ! Il n’avait rien remarqué, le
misérable !
Là-dessus, comme on rhabillait déjà la reine, accourut le
médecin du procureur des États qui voulut à toutes forces pratiquer une seconde
saignée. Je m’y opposai très vivement, et Fogacer aussi, ce qui donna lieu à
une vive prise de bec où, des deux côtés, les médecins s’exprimèrent en latin.
Je m’y mêlai et dis haut et clair que le révérend docteur médecin chanoine
Fogacer, outre qu’il avait fait ses études à l’École de médecine de
Montpellier, la meilleure du monde, avait reçu mission de soigner la reine,
laquelle avait pleine confiance en lui (blanc mensonge, que je prie le Seigneur
de me pardonner). Par bonheur, la reine était une de ces femmes fortes dont
parlent les Saintes Écritures, et elle déclara que c’était là beaucoup de bruit
pour rien, et qu’elle désirait manger, boire un bon verre de vin et
Weitere Kostenlose Bücher