Le Glaive Et Les Amours
permettait de réaliser cet exploit.
— C’est un secret, dis-je, parce que nous avons décidé,
le chanoine Fogacer et moi-même, de ne le divulguer point, craignant que
l’Église ne nous chante pouilles à cette occasion. Mais il va sans dire,
Madame, que nous ne pourrions le dissimuler à Votre Majesté, si Elle nous
commande de le lui déclore.
— Je le commande donc, dit la reine avec bonne grâce,
en vous assurant, Messieurs, que je serai aussi bouche close que vous-mêmes sur
le procédé dont il s’agit.
— En fait, Majesté, dit Fogacer, il s’agit d’une herbe
qui ne pousse que dans un pays lointain, laquelle herbe, introduite là où il
faut et au moment voulu, empêche la procréation.
— Secret redoutable ! dit la reine avec effroi, et
qui serait désastreux pour le royaume si le peuple venait à le connaître.
— Madame, dis-je aussitôt, il n’y a pas le moindre danger.
Car il ne suffit pas de connaître l’herbe. Il faut aussi connaître sa
préparation, laquelle est savante et compliquée. La seule difficulté, Madame,
que je vous le dise enfin, qui subsiste, est de savoir si le roi acceptera ce
recours.
— Il l’acceptera, dit la reine sans hésitation, tant il
est lui-même fort chaffourré par le nombre de bâtards qu’il laisse derrière
lui.
— Madame, dit alors Fogacer, si Votre Majesté veut bien
me le permettre, j’aimerais faire une suggestion. Ne serait-il pas possible,
quand une nouvelle garcelette apparaît dans la vie du roi, de la faire au
préalable examiner par un docteur-médecin afin de s’assurer si elle est exempte
de maladie vénérienne, ou de toute autre affection qui se puisse transmettre.
Je trouvai fort courageux de la part de Fogacer de soulever
ce point, car il ne pouvait que rappeler à la reine la cruelle faute qu’elle
avait commise en confiant le déniaisement du roi à la Borgnesse.
— Chanoine, dit la reine, votre suggestion me paraît
pertinente, mais il faudra, bien entendu, que le roi vous reçoive et accepte
votre proposition.
CHAPITRE XV
Deux jours après que Fogacer et moi avions mis Anne
d’Autriche au courant de nos projets, Beringhen, qui eût pu tout aussi bien
nous envoyer un page, nous vint dire en personne que le roi nous attendait à
deux heures de l’après-midi dans ses appartements.
À cette occasion, chacun dans sa chacunière, nous fîmes,
Fogacer et moi, une toilette si consciencieuse que personne n’aurait pu y
trouver à redire. Tout fût parfait : le lavage du corps du bout du nez au
bout de l’orteil, le rasage de la barbe, le testonnement du cheveu, le
retroussis de la petite moustache sur la lèvre supérieure, nos plus belles
bottes brillant comme des miroirs, les hauts-de-chausse et les pourpoints brossés
et repassés par nos plus habiles chambrières.
— Dieu bon ! dit Catherine quand Fogacer vint me
prendre chez moi, pour qui donc faites-vous tous ces frais ? Pour le
roi ? Ou pour une garcelette que vous irez voir avant de vous présenter à
Sa Majesté ?
— Sachez, m’amie, dis-je, en lui donnant une forte
brassée et dans le cou quelques poutounes promeneurs, sachez que le roi est
très méticuleux sur le chapitre de la propreté et de la vêture, à telle
enseigne qu’un jour il n’hésita pas à dire à un pauvre marquis frais débarqué
de son Auvergne : « Marquis, comme vous voilà fait ! »
Belle lectrice, il n’est que vous n’ayez déjà deviné que la
Cour dauba le pauvre marquis pendant des jours en lui répétant à tout
propos : « Mais, Marquis, comme vous voilà fait ! » Les
choses allèrent si loin que, pris de fureur, le marquis se jeta sur l’un des
persécuteurs et lui fit à mains nues tels battures et frappements que le
moqueur tomba à terre et qu’il fallut quelque temps pour le ranimer. À peine
debout, l’effronté aussitôt parla de duel, mais le roi menaça de le renvoyer
pour toujours sur ses terres s’il passait outre à son commandement. Il interdit
par la même occasion à la Cour de répéter les mots, bons ou mauvais, issus de
sa bouche, qu’ils fussent flatteurs ou moqueurs.
Mais revenons, de grâce, à nos affaires. Je fus séduit par
les appartements du roi. Je les trouvai beaux et luxueux, bien plus que ceux de
la reine, lesquels étaient d’un goût si simple qu’ils eussent convenu à une
riche bourgeoise. Il était apparent qu’au rebours de son père, et plus encore
de son grand-père Henri IV, qui se serait
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