Le Glaive Et Les Amours
contenté d’un lit de camp même
dans un palais, Louis XIV avait au plus haut point le goût de la pompe et
du luxe.
Il avait alors dix-sept ans et me fit la plus grande impression.
Il était grand, la membrature carrée, les jambes longues, le torse redressé,
l’œil beau et perçant, ajoutant à ces dons célestes les dons terrestres :
la vêture, où ni l’or, ni les perles, ni les dentelles ne faillaient. Il se
trouvait assis sur une chaire à bras dorée, une main posée sur le pommeau
richement ciselé d’une épée, et l’autre reposant sur une canne dorée qu’on eût
pu prendre à la rigueur pour un sceptre. Il était rasé de près, à l’exception
d’une petite moustache fine et relevée aux deux extrémités des lèvres. Les pans
d’une perruque noire, abondante et testonnée avec le plus grand soin, tombaient
jusqu’en bas de sa poitrine. À vue de nez, il avait l’œil hautain, distant et
froidureux, mais dès qu’il ouvrait la bouche, il retrouvait aussitôt cet air
courtois et amical qui l’avait fait tant aimer du peuple parisien quand,
passant parmi eux dans les rues, il leur ôtait son chapeau. J’ai ouï dire que
Mazarin disait à la reine, avec qui, comme on sait, il était fort intime, que
son fils était un admirable commediante, à quoi elle répliqua que
Mazarin était lui-même un commediante et, qui pis est, de l’espèce
italienne.
Sa Majesté nous reçut très gracieusement, nous priant de
nous asseoir sur les tabourets qui se trouvaient là, regrettant qu’il n’eût pas
de meilleurs sièges à nous offrir et nous demandant, sans tant languir, quelle
était l’affaire qui nous amenait à lui. Quand j’en eus dit ma râtelée, il me
demanda si la reine était au courant de notre projet. Je trouvai cette question
périlleuse, car le roi, toujours très à cheval sur ses droits, pouvait
s’offenser qu’on l’eût consultée avant lui la première.
— Sire, dis-je, s’agissant d’un problème féminin, j’en
ai touché un mot à Sa Majesté la reine. Mais la reine, quoique fort intéressée
par notre projet, noulut ni l’approuver ni le désapprouver, avant que l’eussiez
envisagé.
Lecteur, c’était là un de ces blancs mensonges qui sont
d’une si grande utilité quand on s’adresse aux Grands. On se ramentoit sans
doute que la reine était, en fait, tout à fait favorable à nos inventions, mais
d’évidence il eût été fort maladroit de ne point laisser le privilège du
dernier mot au roi.
D’aucuns de ces beaux esprits qui aiment dauber les grands
hommes, et plus encore les rois, ont prétendu sotto voce que
Louis XIV n’avait pas d’esprit. Je m’inscris en faux contre cette stupide
calomnie. Tous ceux qui ont approché le grand roi ont admiré, bien au rebours,
l’agilité de ses mérangeoises, la pertinence de ses répliques et, par-dessus
tout, cette qualité si rare chez les Grands : il savait écouter. Quand
Fogacer et moi, nous en eûmes fini de notre râtelée :
— Il n’est que trop vrai, dit-il, que le nombre
croissant de bâtards, les miens et ceux de Philippe, crée des problèmes épineux
et coûtera à la longue au Trésor des clicailles qui eussent été mieux employées
ailleurs. Je ne prends pas ici en compte la prétention bien connue des bâtards
à jouer les grands personnages dans l’État, à réclamer des pensions élevées, à
aspirer à des emplois où ils ne pourraient prouver que leur insuffisance. Qui
pis est, ils ne sont jamais satisfaits, ils entrent dans de tortueuses
conspirations qui ne peuvent, du reste, que faillir, tant ils sont trop
brouillons et niquedouilles.
« Reprenons, duc. Si je vous entends bien, il faudrait
de prime qu’un médecin examinât la candidate aux couches princières pour
acertainer qu’elle est saine. Ensuite, la convaincre d’absorber, par un canal
inhabituel, les herbes magiques de votre père, cette démarche suffisant pour
que le plaisir d’un moment ne soit pas durement payé par une grossesse
indésirée. Et enfin, il faudrait garder ces opérations fort secrètes, pour que
l’Église ne les connaisse pas, car elle les dénoncerait aussitôt comme péché
capital en s’appuyant sur le passage du Saint Livre où le Seigneur foudroie
Onan parce qu’il a versé sa semence à terre. Quant à l’examen des candidates
aux couches royales, je le trouve d’autant plus nécessaire que, s’il avait
existé au moment de mon déniaisement, la Borgnesse ne m’aurait
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