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Le Glaive Et Les Amours

Le Glaive Et Les Amours

Titel: Le Glaive Et Les Amours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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sourire.
    Et sans tant languir, je lui dis ma râtelée de cette séance
au Parlement où je vis des Français applaudir à la proche défaite de leur
patrie.
    — Dieu bon ! dit Fogacer. À quels excès ne mène
pas l’esprit de parti ! Par haine des huguenots, voilà nos hommes de robe
devenus Espagnols. Ils n’ont même pas de jugeote assez pour concevoir combien
serait dure en notre douce France l’occupation des Espagnols.
    — Cher chanoine…
    — Ne m’appelez pas « cher » chanoine, car
justement, comme chanoine, je ne vaux pas cher.
    — Est-ce à dire que vous êtes retourné aux péchés de
vos vertes années ?
    — J’ai fait bien pis depuis. Je suis devenu, sinon
hérétique, du moins hétérodoxe.
    — Par exemple ?
    — Je pense que la morale de l’Ancien Testament –
« œil pour œil, dent pour dent » – est immorale.
    — Mais vous ne pouvez pas en dire autant de
l’enseignement du Christ, puisqu’il défend qu’on lapide la femme adultère.
    — C’est là, en effet, la vraie morale. Ce qui est
troublant, c’est que la morale du fils contredise celle du père.
    — À chacun, dis-je alors, de choisir celle qui lui
convient le mieux.
    — Mon cher duc, me permettez-vous de vous dire que vous
prenez votre religion un peu à la légère.
    — Et je fais bien : sans cela elle me pèserait
trop. Mon cher ami, si nous revenions à nos moutons, j’entends à la pécune
nécessaire à la poursuite de la guerre ?
    — Eh bien, Louis a d’abord usé des moyens classiques.
Il a créé et vendu des offices aux bourgeois avides d’honneurs : bonne
recette pour le présent, mais chargée pour l’avenir, puisqu’il faudra bien
continuer à verser des gages à ces gens-là. Autre recette tout aussi
classique : il a dégraissé les évêques et les moines d’un excès
d’économies. Cependant, Louis a innové, à notre grand dol, en établissant une
taxe inique d’un sol par livre sur toutes les marchandises vendues [11] . Et Louis fit aujourd’hui une chose
bien plus abominable encore en commettant un crime qui était, pour ses sujets,
puni par la hache du bourreau, décollations célébrées par des petits poètes du
Pont-Neuf, dans ces termes :
     
    C’est bien
raison que l’on s’apprête
    À écourter ce
rogneur sans foi,
    Qui rognait de
si près la tête
    Aux images de
nos rois.
     
    — Est-ce à dire, dis-je béant, que Louis va rogner sa
propre monnaie ?
    — Oui-da ! C’est ce qu’il ose faire !
    — Mais, dit alors Catherine, toute rougissante de
prendre la parole, comment rogne-t-on un écu d’or ?
    — Par l’eau de régale, dis-je. Rien de plus simple.
    — Et qu’est-ce donc que cette eau qui a la puissance de
fondre l’or ?
    — C’est en réalité, m’amie, un mélange d’acide azotique
et d’acide chlorhydrique.
    — C’est d’ailleurs, fit Fogacer, une opération très
délicate, car en rognant il faut se garder d’entamer, ou pis encore, d’effacer
la gravure de la tête du roi.
    — Si on rogne, dit Catherine, il y a des rognures, et
que fait-on de ces rognures ?
    — Mais, ma belle, dis-je, d’autres écus, bien sûr…

 
CHAPITRE III
    Sur l’ordre du roi, je continuais à assister aux séances du
Parlement. Ces messieurs de robe me saluaient, mais ne m’adressaient que
rarement la parole. Richelieu m’avait avisé que d’aucuns de ces chattemites se
demandaient s’ils n’allaient pas donner pécunes à quelque mauvais garçon pour
m’occire, mais, dit-il, il n’attachait pas beaucoup d’importance à cette
rumeur. Néanmoins, Richelieu me conseilla de me protéger, et pour me rendre au
Parlement je me vêtis alors d’une cotte de mailles dissimulée par mon
pourpoint. Mais elle était si raide, si chaude et si mal commode, qu’à y
réfléchir plus outre je m’avisai au surplus qu’elle était inutile. Car si l’on
devait me faire passer de vie à trépas, cela ne se ferait certainement pas dans
l’enceinte du Parlement, mais dans la rue, à l’entrant ou à la sortie d’une
séance. Je décidai alors de me rendre au Parlement accompagné, non seulement
par Nicolas, mais par une dizaine de mes Suisses géantins, lesquels
encombraient la rue tout le temps que duraient les débats.
    La parole chez ces messieurs de robe suppléant aux épées,
l’un d’eux, trois jours plus tard, eut le front de me traiter sotto voce de rediseur. Ce propos me fut rapporté, et prenant à part le quidam ,
je

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