Le Glaive Et Les Amours
la plus honteuse qui
soit. Monsieur de Soyecourt commandait la place forte avec mille huit cents
hommes, armes et vivres, bien entendu, en quantité. Mais comme Monsieur du Becq
pour La Capelle, et Monsieur de Saint-Léger pour le Catelet, Monsieur de
Soyecourt capitula au bout de quelques jours sur la promesse que l’Espagnol lui
fit de lui permettre de se retirer libre à Amiens. À l’évidence, peu chalait à
cet officier le sort des soldats qu’il laissait derrière lui. Le roi jeta feu
et flammes à ouïr cette abjecte conduite, et les Parisiens furent si indignés
qu’ils allèrent crier sur le Pont-Neuf : « Raccourcissez
Soyecourt ! »
— Et qu’arriva-t-il de lui ?
— Comme avait fait avant lui le baron du Becq et
Monsieur de Saint-Léger, il fit ce que font le mieux les couards : il prit
la fuite.
— Mais, Monsieur du Becq, Monsieur de Saint-Léger,
Monsieur de Soyecourt, cela fait beaucoup de lâches parmi les officiers de Sa
Majesté à qui incombe la défense des places fortes. Comment l’expliquez-vous ?
— Il faut d’abord savoir que c’est sur la
recommandation de tel ou tel maréchal qu’en temps de paix on baille à ces
faibles cervelles le commandement d’une place forte : sinécure qui ne laisse
pas d’emparesser et d’escouiller hommes et officiers, la Citadelle devenant à
la parfin un doux cocon où ils s’encoucoulent, tout y étant en abondance,
viandes, vins, et même quelques folieuses, introduites à la nuitée par la
petite porte. Tant est que leur vie devenait si douce à vivre qu’ils oubliaient
la guerre, et quand elle leur tomba sus, ils furent pris d’une telle panique
qu’ils se mirent à la fuite.
Pour en revenir à nos membres du Parlement, il était évident
que la prise de Corbie les avait ancrés dans l’idée que l’Espagnol allait nous
vaincre, ce dont ils se réjouissaient fort, et ce qui expliquait leur mauvais
vouloir à enregistrer les édits qui visaient à renflouer le Trésor.
Pis même, après la prise de Corbie, le Parlement décida de
passer à l’offensive contre le roi et le cardinal. J’assistai, il va sans dire,
à la séance où cette étrange démarche fut décidée. Le débat commença par une
vive attaque de Monsieur de Mesmes contre le cardinal : « Outre,
dit-il non sans perfidie, que la victoire de l’Espagne rendra inutile le
renflouement du Trésor, si l’on veut vraiment trouver des pécunes, on les
pourra trouver dans les places de Brouage et du Havre. »
Je me levai alors de mon siège et dis d’une voix
forte :
— Monsieur de Mesmes, permettez-moi de vous dire que
vos insinuations au sujet du cardinal sont aussi infondées qu’injurieuses. Les
pécunes qui ont été dépensées au Havre et à Brouage l’ont été à bon escient,
avec le complet assentiment de Sa Majesté. Le Havre a été fortifié pour résister
aux attaques éventuelles des Anglais qui voudraient bien, maintenant qu’ils ont
perdu Calais, se revancher en s’emparant d’une autre ville sur nos côtes. Quant
à Brouage, les travaux qui ont été faits l’ont été à l’instigation du roi
lui-même qui veut construire là, pour les besoins de son royaume, un grand
établissement maritime.
Monsieur de Mesmes resta clos et coi après ce discours, mais
son idée, à ma grande surprise, ne fut pas abandonnée. Le premier président,
quoique sous une forme plus courtoise qui ne mettait pas Richelieu directement
en cause, mit aux voix une motion qui fut votée à une faible majorité : le
Parlement enverrait une députation au roi pour lui dire que « ses
serviteurs, en matière de finances, le servaient mal ». Ce qui était fort
injurieux pour Monsieur Bouthillier, le surintendant des finances, et aussi,
bien sûr, pour Richelieu qui était visé au premier chef.
Je demandai de nouveau la parole, et bien que le président y
fût très rebelute, il n’osa pas refuser de me la bailler.
— Messieurs, je suis en droit, en tant que duc et pair,
de siéger en ce Parlement. Aussi vais-je vous bailler un conseil. Que vous le
suiviez ou non est affaire à vous et à votre conscience. Mais tout me porte à
croire que votre députation auprès du roi sera très mal reçue. D’abord, parce
qu’au lieu de voter les édits qui permettraient au roi de ramasser les millions
qui lui sont nécessaires pour la conduite de la guerre, vous critiquez ses
finances, ce qui apparaîtra comme une sorte de mauvaise excuse pour justifier
votre
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