Le Glaive Et Les Amours
au royaume, il est probable
qu’il eût fait comme sa propre mère quand Henri IV mourut : il eût,
comme elle, mis la main sur le Trésor royal de la Bastille et, en peu de temps,
l’aurait dissipé. Tant est que le nerf de la guerre ayant disparu, on aurait à
accepter alors une paix honteuse avec l’Espagne.
— Et meshui, que va faire Gaston ?
— Dépité de ne plus rien être, ni au-dedans, ni
au-dehors, je gage qu’il ira s’installer en son fief, le château de Blois qu’il
aime beaucoup, et pour lequel il souhaiterait faire des travaux, dit-il, si le
roi consentait à lui bailler un gros boursicot de clicailles.
— Et qu’en serait-il de cet énorme don ?
— Il est probable que le roi y consentira, trop heureux
que la bonace dans la famille succède enfin à la tempête. Alors, la Dieu merci,
les « brouilleries du dedans » seront bien finies, Gaston à Blois, la
reine-mère partie en son éternel exil et la reine plongée dans les joies de la
maternité…
*
* *
— Monsieur ! Pourquoi ne m’avez-vous rien dit
jusqu’ici sur le père Caussin ?
— Belle lectrice ! Vous vous intéressez aux
confesseurs du roi ?
— Ne serait-ce que par leur nombre. J’ai calculé que
depuis le début du règne jusqu’à ce jour d’hui, il y en a eu sept, et les sept,
renvoyés tour à tour. Et par qui ?
— Par le cardinal avec l’assentiment du roi.
— Mais qu’avait à faire le cardinal avec les
confessions du roi ?
— M’amie, tout ! Car il y avait tout à craindre d’un prêtre qui recommanderait au nom de Dieu à son confessé une
politique espagnole.
— Et pourquoi donc le père Caussin fut-il choisi ?
— Parce que de tous les candidats possibles c’était le
plus sot.
— Le plus sot ? Mais il passait pour saint.
— Ce n’est peut-être pas incompatible.
— Monsieur, seriez-vous irrévérencieux à l’égard de
notre Sainte Église ?
— Point du tout. J’honore les saints, sauf ceux qui ne
me paraissent pas bien sérieux.
— Et il y en a ?
— Mais oui, saint Norbert, par exemple.
— Et qu’a-t-il fait pour mériter ce dépris de votre
part ?
— Il était chanoine de Cologne et courait le cotillon
comme fol, tant est que le Seigneur Tout-Puissant le frappa de sa foudre,
laquelle ne le tua point, mais durcit sa mentulle au point qu’elle demeura, sa
vie durant, raide et redressée. Étrange châtiment quand on y songe, puisqu’il
encouragea, plutôt qu’il ne découragea, les amours du chanoine. Or, à sa mort,
Dieu sait pourquoi, l’Église le fit saint, et à partir de ce jour les femmes
qui désiraient ardemment un enfant invoquent son intercession auprès du
Seigneur.
— Monsieur, vous m’en contez !
— Pas du tout. La reine elle-même priait saint Norbert,
et il faut croire qu’il avait bien là-haut quelque influence, puisque la prière
royale fut exaucée. Pour en revenir maintenant au père Caussin, c’est vrai
qu’il écrivait des livres religieux et qu’il prêchait bien. Toutefois, il
n’était pas prisé de ses supérieurs. Voici ce qu’ils disaient de lui. Judicium
in practicia infra mediocritatem, experientia rerum fere nulla, prudentia in
rebus gerendis parva [16] .
— Pardonnez-moi, Monsieur, mais mon latin est lointain,
et à vrai dire, il ne m’a jamais été proche. Et malgré tous ces défauts,
Richelieu l’engagea ?
— Erreur ! Il l’engagea en raison de ces
défauts, se disant que si le père tentait d’incliner le roi vers la politique
espagnole, il le ferait avec tant de maladresse que le roi percerait vite ses
desseins et, sans tant languir, lui donnerait congé. Richelieu ne se trompait
pas. En effet, le premier pas du père Caussin fut un faux pas : il écrivit
à son ami le père de Séguiran pour lui préciser le sens qu’il donnait à sa
nouvelle tâche : « Le prince a des péchés d’homme et des péchés de
roi. Comment concevoir qu’un confesseur soit donné au roi pour l’absoudre de
ses péchés d’homme et non pas de ses péchés de roi. »
— Et quels étaient, aux yeux de Caussin, les péchés du
roi ?
— Nombreux et accablants. Il avait, par l’édit de
grâce, assuré aux huguenots français la liberté du culte. Il s’était allié à
des pays protestants [17] . Il ne
voulait pas entendre parler de l’éradication radicale des huguenots préconisée
pourtant par une autorité aussi haute que le concile de Trente. Le roi,
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