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Le Glaive Et Les Amours

Le Glaive Et Les Amours

Titel: Le Glaive Et Les Amours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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mère, la duchesse de Guise ?
    — Elle m’a fermé sa porte.
    — Et pourquoi donc ?
    — La dame est hautaine et maugré ses prières, ses
ordres et même ses menaces, je m’obstine à servir le cardinal de Richelieu
qu’elle tient, de son côté, en grande exécration.
    — Qui aurait pu croire que la passion politique chez
une dame pût l’emporter sur le sang ?
    — C’est qu’elle a pour confesseur un jésuite.
    — Et vous n’avez donc plus de rapports avec elle ?
    — Si fait ! Je lui envoie assez souvent des
lettres et des fleurs. Elle ne répond jamais aux premières, mais me remercie
toujours pour les secondes.
    — N’est-ce pas absurde ?
    — Je ne sais. C’est là le résultat d’une bonne
éducation. On doit toujours remercier pour des fleurs, mais répondre à une
lettre, c’est déjà se compromettre.
    — Ne pâtissez-vous point de ne plus la voir ?
    — Si fait. Et je suis bien sûr qu’elle en pâtit aussi.
Mais irait-elle perdre sa part de paradis pour le seul plaisir de voir un
instant ce fils satanique ?
    — Et que fîtes-vous quand elle vous clouit l’huis au
nez ?
    — Que pouvais-je faire, sinon reporter tout mon amour
sur mon père. En outre, j’avais mille raisons de nourrir pour lui la plus vive
gratitude pour avoir pris le plus grand soin de mon éducation.
    — Mais n’était-ce pas bien naturel ?
    — Point du tout. Dans les familles nobles on se
contente d’apprendre aux fils l’équitation, l’escrime et la danse. Mon père,
lui, m’a dès l’enfance nourri aux lettres, à la mathématique, à l’Histoire et
aux langues étrangères. Il fit mieux : il m’envoya à grands frais accomplir
d’assez longs séjours en Angleterre, en Italie et en Allemagne, confiant qu’en
plus de l’enseignement des maîtres, je rencontrerais aussi des dames qui
seraient assez bonnes pour me perfectionner.
    — Et qui fut le meilleur maître, les magisters ou les
dames ?
    — Les dames. Mais il n’y en eut qu’une par pays. Je ne
voulais ni me disperser, ni apprendre des accents différents.
     
    *
    * *
     
    Au cours de cette longue veillée au chevet de mon père, il
survint un incident qui ne fut pas de petite conséquence. J’étais encore à mes
prières quand j’ouïs un gémissement, et comme la chambre était mal éclairée, je
ne sus de prime d’où il venait, mais mon œil s’accoutumant à la pénombre,
j’aperçus Margot assise à même le tapis dans le coin le plus obscur de la
chambre, ses bras entourant ses genoux et sanglotant son âme. Je commandai à
Nicolas de l’aller chercher et de l’amener à mes côtés pour qu’elle pût prier
comme moi au chevet de l’homme qu’elle avait adoré. Elle y consentit, me
remerciant, d’une voix étouffée, de ma bonté, s’agenouilla, mais à bonne
distance de moi, craignant de m’offenser, si elle était plus proche. Comme il
se peut que le lecteur ne se ramentoit point qui était Margot, « notre
petite voleuse de bûches », comme nous l’appelâmes de prime, j’en voudrais
dire ici ma râtelée. Orpheline, vivant seulette dans une masure, elle mangeait
le peu de pain qu’elle gagnait en soulageant les voisines de sa rue des travaux
les plus durs, et elle pleurait ses nuits glaciales. Mais étant d’une nature
impavide, elle imagina d’escalader le mur derrière lequel s’entassait notre
réserve de bûches et d’y prendre du bois à sa suffisance.
    À la parfin on s’en aperçut, on la guetta, on s’en saisit et
on l’amena à mon père qui fut de prime béant qu’une garcelette aussi menue ait
pu escalader un mur haut de deux toises. Ce vouloir-vivre et cette audace
plurent à mon père et loin de la livrer au bras séculier qui l’eût pendue sans
tant languir, il la prit dans son domestique et s’en félicita, tant elle se
montra vive et laborieuse.
    À son entrant chez nous, elle devait avoir douze ou treize
ans, pas plus. Il était cependant difficile de l’acertainer, ses bras et ses
jambes étant si maigrelets, ses fesses sans courbe aucune, et du tétin comme
sur ma main. Cependant, même alors, elle était, une fois débarbouillée,
plaisante à regarder, car elle était blonde, avec des yeux clairs, et toute en
énergie et vivacité, et ne manquant pas de griffes pour se défendre d’aucunes
de nos chambrières qui l’eussent voulu morguer.
    Elle possédait aussi une autre vertu, et celle-là bien
rare : la gratitude. Elle adorait mon père, et bien

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