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Le Glaive Et Les Amours

Le Glaive Et Les Amours

Titel: Le Glaive Et Les Amours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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chambrières qui lançaient en tapinois à Cinq-Mars
des regards amoureux. Il est vrai qu’on voyait dans les couloirs des gendarmes
armés, certes, mais dont le comportement était quasi évangélique. Il est vrai
aussi qu’à l’arrivée on vous enlevait votre arme, mais quant à la fouille de
votre vêture, elle était faite par une forte matrone avec une suavité quasi
caressante.
    Je détrompai Cinq-Mars dès l’abord. Je ne venais pas lui
apporter la grâce du roi, mais son adieu, et les regrets qu’il avait d’être
obligé d’en arriver là avec lui. J’ajoutai que le roi m’avait requis de lui
dire qu’il l’aimait toujours, et que seul le caractère odieux de sa trahison
l’avait obligé à sévir.
    Cinq-Mars écouta ce discours avec attention, mais sans
trahir la moindre émotion et, quand j’eus fini, il dit d’une voix ferme et
claire :
    — Je préférerais que le roi m’aimât un peu moins et me
laissât vivre un peu plus. Toutefois le calice est plein et j’espère que je
vais le boire sans défaillir.
    J’osai alors lui demander les raisons qui l’avaient poussé à
vouloir assassiner le cardinal. Là-dessus, il resta un assez long moment
silencieux et, comme je l’interrogeais des yeux, il finit par répondre.
    — Savez-vous que c’est Richelieu qui m’a jeté dans les
bras du roi. Il voulait avoir en moi une créature qui lui répétât tout. En quoi
je le déçus. Et je déçus aussi le roi, étant trop différent de lui. Louis est
un homme de devoir, rigide, et n’aspirant qu’à une seule chose sur terre :
gagner son paradis. Il déteste le luxe, les joies de la vie. Il travaille du
matin au soir. Il est chiche-face et pleure-pain, s’habille à l’ordinaire comme
un bas officier, sans perles ni dentelles et, qui pis est, il me sermonnait à
l’infini, critiquant sans fin ma paresse et ma passion pour le gentil sesso. Hélas, tout empira et même tourna au drame quand je devins l’amant de
Marion de Lorme. Les scènes de jalousie de Louis se multiplièrent, et le roi
devint marmiteux et mal allant. C’est alors que Richelieu, craignant pour sa
santé, décida de briser le lien qui m’unissait à Marion de Lorme. Je ne sais
comment ce Machiavel a réussi ce beau tour, mais du jour au lendemain, la belle
me tourna le dos. Fou de rage, je commençai alors à conspirer contre Richelieu.
Et ce ne fut pas, comme dirent les sots, pour prendre sa place. Je n’avais pas
cette outrecuidance, mais uniquement pour me revancher de sa vilenie.
    Ayant dit, il se tourna vers moi et dit d’un ton
indifférent :
    — Viendrez-vous à mon exécution ?
    — Louis ne me l’a pas demandé.
    — Mais il ne vous l’a pas défendu non plus.
    — Nenni.
    — J’aimerais cependant que vous soyez là.
    J’entendis alors qu’il voulait faire face à la mort aussi
noblement que Montmorency, et qu’il désirait que le roi le sût. J’acquiesçai
alors à sa requête, à mon cœur et corps défendant, détestant ce spectacle
écœurant, d’un homme qui tue un autre en toute légitimité.
    De Thou et Cinq-Mars furent décapités sur la place des
Terreaux dont Lyon est, à juste titre, très fière, bien qu’elle n’eût pas
encore la majesté qui fut la sienne à la fin des travaux en 1646.
    La foule était immense, la plupart des assistants demeurant
debout, les autres assis, selon leur degré de noblesse ou leurs fonctions, les
juges assis au premier rang, vêtus de leurs belles robes et l’air grave et
important, comme s’ils portaient fièrement la responsabilité d’un verdict qu’on
leur avait dicté d’avance.
    De Thou subit le premier [30] ,
« le vent d’acier » comme avait dit Montmorency, mais aux yeux de la
foule ce n’était qu’un prologue, car de Thou était quasiment inconnu, alors que
Monsieur le Grand était auréolé de toute la majesté du roi dont il avait été
successivement le favori et le traître.
    Cinq-Mars était lui-même parfaitement conscient de
l’importance théâtrale de cette entrée sur scène qui ne pouvait se terminer,
comme dans les tragédies antiques, que par la mort. Ne voulant pas que le
bourreau, cet homme de peu, le touchât, il se fit couper les cheveux de la
nuque la veille par son barbier. Et le matin de l’exécution, il donna l’ordre à
son valet d’étaler sur son lit ses plus belles vêtures, et choisit longuement
celle qui lui convenait le mieux. Son choix se porta sur un pourpoint couleur
de mûre tout

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