Le Glaive Et Les Amours
couvert de dentelles, un haut-de-chausse de même couleur, des bas
de soie verte et des chaussures à talons. Là-dessus il jeta un manteau écarlate
couvert de galons d’argent et fermé par des boutons en or. Comme il noulait
porter de chapeau, ses cheveux étaient délicatement testonnés. Et un soupçon de
rouge pouvait se voir sur ses pommettes, probablement afin que, s’il pâlissait,
la pâleur ne parût pas.
Il monta le degré de l’échafaud avec une allégresse
majestueuse, et de prime remercia ses juges de la façon courtoise dont ils
l’avaient jugé. Puis il fit le tour de l’échafaud en saluant à la ronde les
spectateurs avec des sourires et une douceur charmante. Toujours souriant, il
s’agenouilla et posa sa tête sur le billot. Deux coups lui furent donnés
successivement, le premier pour entailler le cou, le second pour détacher la
tête du tronc. À cet instant, la foule immense applaudit à mains rompues.
Un peu plus tard, comme je contais l’exécution de Cinq-Mars
à Fogacer, il me dit d’un air sévère : « Nos nobles sont de grands
vaniteux. Prônant au-dessus de toutes les vertus la vertu du courage, ils
veulent la faire éclater par la façon dont ils meurent. Et minutieusement, en
leur vêture et leur allure, ils préparent tout pour faire un chef-d’œuvre de
leur fin. Et assurément, s’ils faisaient la chose plus simplement, ce serait
une tragédie. Mais faite comme ils la font, c’est une sorte de pantalonnade.
Toutefois, si toute cette comédie leur permet de passer de vie à trépas sans
trop subir les affres de la mort, c’est peut-être une bonne chose pour
eux. »
CHAPITRE IX
Lecteur, plaise à toi de me laisser revenir en arrière dans
mon récit, c’est-à-dire au moment où je départis de Paris avec les armées du
roi pour gagner le Roussillon. Eh quoi ! direz-vous, saviez-vous déjà la
langue espagnole ? Je dirais passablement bien, grâce aux soins de la
princesse de Guéméné, sur les tendres lèvres de qui j’avais cueilli tant de
mots. Toutefois, j’étais bien loin encore d’en avoir acquis l’usage facile et
coulant. Tant est que, pour progresser encore, j’emportai avec moi dans ma
carrosse, pour ce longuissime voyage, mon dictionnaire d’espagnol et mon Don
Quichotte , me promenant, dans mes cahotants loisirs, d’apprendre chaque
jour par cœur, après l’avoir traduite, une page de Cervantès. Mon père m’avait
nourri aux lettres dès mon enfance, et je n’eus aucune peine à soutenir ma
gageure, tant et si bien que, même à ce jour, des pages entières de Cervantès
demeurent en ma remembrance.
Ce n’est pas sans un grand pincement de cœur que je quittai
mon épouse, mes enfants et mon hôtel de la rue des Bourbons. Richelieu, qui
pensait à tout, m’avait fourni pour ce voyage une escorte d’une douzaine de ses
mousquetaires et un boursicot de clicailles assez pansu pour les nourrir, et
mes gens aussi, jusqu’à Narbonne.
Je lui en sus le plus grand gré, car je pus de la sorte
laisser Hörner et mes Suisses garder femme, enfants et domestique [31] en ce périlleux Paris où chaque
matin on ramasse dans les rues et ruelles une quinzaine de cadavres baignant
dans leur sang.
Quant au royal boursicot de clicailles, il fut le très bienvenu
pour nourrir moi-même, Nicolas, mes cochers, mes charrons et ces voraces
mousquetaires qui ne rêvaient, d’un campement à l’autre, que vins, mangeailles
et loudières, lesquelles, maugré les vertueux interdits du roi, se glissaient
jusqu’à la nuit pour leur apporter de coûteuses et dangereuses consolations.
Les mousquetaires du roi étaient nobles, et les
mousquetaires de Richelieu, roturiers, mais je dois dire que nobles ou non, je
n’ai jamais discerné la moindre différence en leurs conduites.
Il va sans dire que mon écuyer Nicolas était du voyage,
ainsi que mes deux charrons qui ne quittaient jamais leurs outils : bec
d’âne, chasse, gouge et plane, et du diantre si je sais comment ils les
employaient pour réparer roues et essieux, ce qui était fréquent, les chemins
étant si mauvais en cette douce France.
Ces précieux charrons voyageaient à ma suite dans un
spacieux charreton bâché qui leur servait aussi de campement la nuit, de peur
qu’on volât tout, et dans lequel ils devaient laisser place aussi aux deux
cochers qui, alternativement, tenaient les rênes de ma carrosse, sans compter
mes encombrantes bagues personnelles ainsi que mes piques et
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