Le Glaive Et Les Amours
avec avidité. Après quoi, il
remercia Dieu d’avoir pris grand soin, en cette occasion, du royaume et de sa
propre personne, action de grâces qui y paraît naturelle dans la bouche d’un
prélat, mais Richelieu aurait pu tout aussi bien remercier en son for les
espions et les rediseurs de sa police d’avoir si bien travaillé pour lui.
Richelieu prescrivit à son secrétaire de faire plusieurs
copies du traité et il demanda ensuite à Chavigny et à moi-même de porter le
traité au roi qui se trouvait alors à Narbonne, en attendant de s’approcher de
Perpignan dont il comptait, comme on sait, faire le siège. Nous partîmes fortement
accompagnés, Chavigny et moi, à la pique du jour, et comme je le trouvais
triste et marmiteux, au bout d’un moment je lui en demandai la raison. Il me
dit alors d’une voix étouffée qu’il se tracassait fort au sujet du roi et du
cardinal. Ils étaient l’un et l’autre fort mal allant, le cardinal souffrant
d’une fièvre paludéenne et d’un abcès au bras qui ne voulait pas guérir. Quant
au roi, ses douleurs de ventre l’avaient obligé à faire tout le voyage de Paris
à Narbonne étendu sur un matelas dans sa carrosse.
À Narbonne, dès que nous eûmes mis pied à terre, le douze
juin, devant le palais du roi, Monsieur Bouthillier vint à notre encontre et
nous entraîna dans la chambre du roi, lequel était debout, mais me parut
cependant mal à l’aise et mélancolique. Il conversait avec Cinq-Mars. Monsieur
de Chavigny s’approcha et, le tirant par la basque, lui dit à l’oreille qu’il
avait quelque chose à lui dire en particulier. Le roi hésita, mais me jetant un
regard, et comme je faisais oui de la tête, Louis passa d’un pas vif dans une
autre pièce. Cinq-Mars voulut le suivre, mais Monsieur de Chavigny lui dit d’un
ton froid et impératif : « Monsieur le Grand, j’ai quelque chose à
dire au roi. » Cinq-Mars pâlit à ces propos et se retira.
— Sire, dit Chavigny, plaise à vous de vous asseoir. Le
traité que nous vous apportons risque de vous émouvoir beaucoup.
Le roi s’assit et lut le traité une première fois, puis le
relut une deuxième fois, pâle, défait et sans voix. Quand il la retrouva, il
dit d’un ton désespéré :
— Peut-être s’agit-il en fait d’une erreur de nom.
— C’est peu probable, Sire, dit Chavigny, il est répété
plusieurs fois dans le texte, et celui aussi de Bouillon et de De Thou.
— Sire, dit Chavigny, peux-je vous suggérer de faire
arrêter Cinq-Mars et de Thou avant qu’ils aient le temps de s’enfuir. Ils
pourront du moins s’expliquer.
— Donnez l’ordre, Chavigny. Donnez l’ordre, dit le roi
d’un air las.
Puis il s’enferma dans un mutisme dont rien ne put le faire
sortir. Et quand enfin vint la nuit et qu’il fut couché, il se sentit mal, il
prit médecine, il s’endormit et se réveilla sur les cinq heures du matin. Il
dit alors d’une voix plaintive, les larmes lui coulant sur la joue :
— Quel saut a fait Monsieur le Grand !
Puis au bout d’un moment, d’un air triste et défait, il
répéta :
— Quel saut a fait Monsieur le Grand !
*
* *
Le lendemain, j’avais précisément invité Fogacer à la repue
de midi. Il avait obtenu de suivre les armées du roi afin de renseigner sur la
guerre le pape, lequel, apparemment désolé de cette lutte fratricide entre deux
pays catholiques, faisait, en fait, des vœux pour la victoire de Louis, les
Espagnols qui s’étaient installés de force dans le nord de l’Italie lui
paraissaient si envahissants qu’il commençait à craindre pour ses propres États.
— Eh bien, qu’en pensez-vous ? dis-je à Fogacer.
— La mort pour tous les deux.
— Cependant le roi hésite.
— Et pourquoi ?
— Cinq-Mars a trahi.
— C’est, dit Fogacer, que la trahison est double.
Cinq-Mars est traître à sa personne, et traître à la politique royale. Et ce
double ressentiment le trouble à tel point qu’il se demande si le châtiment
qu’il envisage est bien justifié. Raison pour laquelle il a appelé auprès de
lui le père Sirmont pour se confesser.
— Et quelle aide attendait-il de lui ?
— Mon cher duc, fit Fogacer avec son long et sinueux
sourire, que faites-vous du secret de la confession ? Mais faute de
savoir, on peut au moins imaginer.
— Imaginons.
— Il se peut que le roi ait demandé à Sirmont si, étant
donné les liens d’affection qui l’unissaient
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