Le Glaive Et Les Amours
à Cinq-Mars, il serait justifié de
lui faire un procès pour crime de lèse-majesté qui ne pourrait se conclure que
par la peine de mort.
— Et qu’a dit, selon vous, le père Sirmont ?
— Je ne le sais, mais aux effets de cette confession,
je peux juger que le père Sirmont a dit oui.
— Et pourquoi cela ?
— Parce que, après s’être confessé, ordre fut donné par
Louis de poursuivre Cinq-Mars et de Thou sans tant languir, de les arrêter, de
les serrer en geôle et d’instruire leur procès. Ce qui fut fait promptement.
Messieurs de Cinq-Mars et de Thou n’étaient pas des gens
précautionneux. S’ils l’avaient été, ils ne seraient pas venus à pied à l’hôtel
du roi. Tant est que, lorsqu’ils ouïrent à travers la porte que leur
conspiration était découverte, ils fuirent certes, mais ils n’avaient plus de
carrosse pour se mettre à la fuite, ce qu’ils auraient pu faire avec quelque
chance de succès. Mais cette ressource-là leur faillant, ils s’enfuirent à pied
et furent en un tournemain rattrapés par les gendarmes du roi, par eux
désarmés, dirigés sur Montpellier et enfermés dans la Citadelle.
Sans perdre une minute, le roi envoya ses serviteurs en
Italie afin d’arrêter le duc de Bouillon à Casal et de le ramener en France où
il fut enfermé à Lyon dans la citadelle de Pierre Encize. Gaston fit par lettre
des aveux complets et chargea sans ménagement ses autres conspirateurs. Du fait
de son sang royal, il savait qu’il recevrait du roi « les effets de sa
bonté ». Le procès de Cinq-Mars et de De Thou eut lieu à Lyon, et bien que
toutes les formes fussent scrupuleusement respectées, la sentence ne pouvait
faire de doute : Cinq-Mars et de Thou seraient condamnés à mort.
Quant au duc de Bouillon, conspirateur né, dont
Henri IV disait déjà : « Dieu me garde des brouillons et des
Bouillons ! », Louis agit contre lui en toute vigueur et rigueur. Il
fit occuper Sedan, la ville qui avait abrité tant de conspirateurs, et du même
coup Bouillon perdit sa principauté, mais conserva en compensation, Dieu sait
pourquoi, le titre de « prince étranger » à la Cour de France, ce qui
faisait de lui mutatis mutandis une sorte d’évêque in partibus. En
compensation, on lui versa six millions de livres. Toutefois, comme le roi
avait peu fiance en sa parole, il l’assigna à résidence dans son comté de
Turenne. C’était beaucoup déchoir pour un prince, et craignant que Louis allât
encore plus loin dans sa vengeance, Bouillon préféra aller s’établir à Rome.
— Où j’espère qu’il ne va pas se mettre à conspirer contre
le pape, me dit Fogacer.
— Nenni ! Nenni ! Croyez-moi, il ne s’y
frotterait pas, le Saint-Père l’enfermerait dans une moinerie jusqu’à la fin de
ses terrestres jours. Et pour un homme qui comme lui aime tant le gentil
sesso , ce serait là un terrible avant-goût de l’Enfer.
*
* *
On eût pu penser que, se préparant à arracher le Roussillon
des mains des Espagnols, le roi n’eût plus le temps ni le désir de penser à son
favori. Tout le rebours. Et la preuve en fut qu’il me fit appeler en son hôtel
de Narbonne me demandant de partir pour Lyon afin, dit-il, de
« consoler » son favori du mieux que je pus, lui assurant que son roi
l’aimait toujours, mais que la raison d’État l’avait contraint à sanctionner un
crime d’intelligence avec l’ennemi : trahison telle et si grande qu’elle
ne pouvait être pardonnée.
Le lecteur se rappelle sans doute que Louis m’avait confié
une mission similaire au moment où le duc de Montmorency, blessé, capturé,
vaincu à Castelnaudary, attendait son exécution. Mais il y avait une nuance :
s’agissant de Cinq-Mars, le roi l’aimait, et moi je le lui devais dire, alors
même que la mort l’attendait.
Parti le lendemain pour Lyon, je roulais dans ma carrosse
des pensées désabusées. On dit bien, m’apensai-je, quand on dit qu’on
« tombe amoureux ». Car c’est une chute, en effet, au cours de
laquelle on perd toutes ses qualités réflexives : intuition, perception,
prudence…
N’allez pas croire que Cinq-Mars était enfermé à Lyon en
geôle sordide et sale. On l’avait logé tout le rebours dans un fort joli hôtel,
clair et bien meublé. Je le surpris à son dîner et, sans tant languir, il
m’invita à le partager. Je dois attester que c’était là un repas de roi, servi
en outre par de fort accortes
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