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Le Glaive Et Les Amours

Le Glaive Et Les Amours

Titel: Le Glaive Et Les Amours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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M’allez-vous donc alors quitter ? Ce serait mal avisé,
car à cette heure les officiers de logement ont depuis belle heurette distribué
tous les logements disponibles de Lyon. Et pas plus que vous ne pouviez
souffrir de me laisser seulette, exposée au vent et à la pluie, je ne puis
accepter l’idée que vous dormiez dans votre carrosse par ce temps froidureux.
Donc, Monsieur, c’est chez moi, ainsi que votre gentil écuyer, vos cochers et
vos charrons que nous logerons, dès lors que mon cocher les aura ramenés céans
dans ma carrosse réparée.
    — Mais, Madame, nous allons vous encombrer prou !
    — Point du tout. Je vis dans une vaste demeure et si
elle n’est pas à’steure envahie par les officiers du roi, c’est que le
gouverneur a étendu sur moi sa protection.
    C’est dans ma carrosse que nous échangeâmes ces propos
amicaux, et je fus fort heureux, tout le temps que nous mîmes pour gagner Lyon,
d’avoir, assise face à moi, la marquise de Montalieu, étant fort privé de
présence féminine depuis mon département de Paris. C’était, à mon sentiment,
quasiment un blasphème d’avoir osé dire de cette haute dame qu’elle était
« alléchante » : terme bas et vulgaire pour ce bel ange du ciel.
Non qu’elle manquât de ce charme féminin auquel si peu d’hommes résistent, non
plus que ses beaux traits réguliers fussent aussi froids que ceux des statues
grecques. C’était là, bien évidemment, une femme vivante et vibrante, mais fort
bien défendue par la dignité de ses manières, et le bouclier de sa dévotion.
     
    *
    * *
     
    — Monsieur, un mot de grâce.
    — Madame, je vous ois.
    — À l’ordinaire, dans vos Mémoires, vous contez vos
succès, mais jamais vos échecs.
    — M’amie, si vous faites allusion à la marquise de
Montalieu, ce ne fut pas un échec, puisque je ne tentai rien.
    — Et pourquoi cela ?
    — La seule vue de sa demeure me glaça de respect.
    Ce n’était, sur les murs, que peintures de Dieu le Père, de
la Sainte Trinité, de la Vierge Marie, de l’Enfant Jésus, de Jésus et de ses
disciples, de Jésus sur la Croix, de Jésus exhumé et ressuscité. Tant est qu’en
cette auguste compagnie, qui appelait tant de vénération, l’amour humain ne me
paraissait pas à sa place. Je conçus alors quelque vergogne de mes terrestres
aspirations, et tâchai de gagner sinon l’amour, du moins l’amitié de ma belle
dévote.
    — Et y êtes-vous parvenu ?
    — Il y fallut beaucoup de tact, mais à la parfin elle
voulut bien me permettre d’être son ami.
    — Sans arrière-pensées de votre part ?
    — C’eût été malséant.
    — Mais ne m’avez-vous pas dit, au sujet de la princesse
de Guéméné, que l’amitié entre homme et femme est toujours périlleuse.
    — Ce fut vrai pour elle, ce ne pouvait l’être pour la
marquise de Montalieu.
    — L’avez-vous revue depuis ?
    — Beaucoup plus tard, quand d’ordre du roi je revins à
Lyon pour assister à l’exécution de Cinq-Mars. Dès que son maggiordomo m’introduisit en sa demeure, la marquise montra la joie la plus vive, m’invita
à souper et me donna une chambre en son hôtel.
    — Sans que changeât la situation ?
    — Sans qu’elle changeât le moindrement du monde.
    — Monsieur, puis-je meshui passer de la petite histoire
à la grande Histoire ? Que firent le roi et Richelieu à Lyon ?
    — Ils passèrent en revue, sur la place des
Terreaux – là où plus tard Cinq-Mars devait perdre la vie –, les quinze
mille fantassins et les quatorze mille cavaliers de l’armée royale. Ce fut un
fort impressionnant spectacle pour les aregardants et qui les convainquit que
le Roussillon allait tomber comme fruit mûr dans nos verts tabliers.
    — Et ce fut le cas ?
    — Nenni. Il y fallut beaucoup d’efforts et de temps. Ce
fut un très long chemin de Lyon à Narbonne et cette fois je suivis l’armée au
lieu de la précéder.
    — Et pourquoi ?
    — Je voulais savoir le plus tôt possible où le roi et
Richelieu allaient s’établir afin de courre me mettre à leur disposition.
    — Monsieur, peux-je vous demander en rougissant où est
Narbonne ?
    — Il serait facile de vous montrer la ville sur une
carte, mais hélas ! les cartes sont rares, chères et souvent inexactes. La
mienne est enfermée dans mes bagues et du diantre si je me souviens où je l’ai
fourrée. Mais je vais tâcher de vous dessiner visuellement le site où se

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