Le Glaive Et Les Amours
qu’il a bonne
mine et bonnes manières. Mes niquedouilles de chambrières s’y seront trompées,
mais je vais les prier de corriger leur erreur.
Le mot « prier » me plut, s’agissant d’une
maîtresse s’adressant à ses chambrières, et mieux encore, la douceur avec
laquelle, leur parlant à l’oreille, elle les réprimanda.
En y réfléchissant plus outre, je me suis apensé que les
chambrières, sans rien demander, avaient trouvé combien ce serait plaisant
d’avoir un joli drôle comme Nicolas à table avec elles. Et d’autant qu’elles
vivaient en pleine campagne, sans compagnie masculine, à part les garçons
d’écurie qui sentaient fort le cheval et les ragoûtaient peu.
Nicolas, dès la dernière bouchée avalée, se retira avec tact
dans la chambrette qui lui avait été attribuée, et la comtesse me fit passer
dans un petit salon où brûlait un grand feu, et où une chambrière nous vint
apporter une tisane chaude.
Bien qu’il y eût des chaises à bras, la comtesse s’assit sur
un divan à la turque et me pria de prendre place à ses côtés. Elle me posa
alors deux questions qui, d’évidence, devaient dès le début la tracasser.
— Duc, est-ce que l’ordre du Saint-Esprit, dont vous
êtes chevalier, est un ordre religieux ?
— Nenni, Madame, c’est un ordre décerné par le roi, et
le roi seul, aux nobles catholiques, qu’ils soient mariés ou non.
— Et c’est cet ordre qui vous vaut de porter ce beau
cordon d’un bleu céleste au bout duquel pend cette belle croix de Malte ornée
d’une blanche colombe.
La « blanche colombe » fut dite sur un ton de
légère ironie qui me donna à penser.
— En effet, dis-je, et chaque soir je dois réciter, en
plus d’un Pater et d’un Ave, la prière spéciale de l’ordre.
— Mais est-ce que l’ordre vous impose le célibat ?
— En aucune façon.
— Je suppose aussi que cet ordre vous donne le pas, à
la Cour, sur les nobles de votre rang.
— Oui, Madame, mais pas sur les princes du sang.
— L’ordre vous oblige-t-il au célibat ? (Question
qu’elle m’avait déjà posée.)
— Nullement. Nous ne prononçons pas de vœux et nous ne
sommes pas des prêtres.
— C’est donc que vous pouvez vous marier.
— Ce n’est pas non plus une obligation. À chacun de
suivre son penchant.
— Et en l’occurrence, quel fut le vôtre ?
— Je me mariai.
Ce « je me mariai » était un peu sec, mais je
commençais à me lasser de cette inquisition, et d’autant que le lecteur, me
poussant du coude, me rappelle que j’ai omis dans mon récit de décrire la dame.
Eh bien, lecteur, je dirais qu’elle était fort bien faite,
mince et ronde là où il fallait, avec de grands yeux noirs et une fort jolie
chevelure, laquelle se tordait en belles boucles brunes autour de son visage.
Elle était sûre d’elle-même, mais non hautaine, ferme mais fort polie avec les
domestiques, et en toutes circonstances, comme aurait dit Mariette ma
cuisinière, « fort bien fendue de gueule », et enfin dans sa
curiosité, comme on l’a vu, sans la moindre vergogne, sachant son but et y
allant tout droit.
Tandis qu’elle me confessait ainsi, je la considérais avec
attention sur toutes les coutures, et remarquant qu’elle portait autour de la
taille une ceinture d’où pendait, dans son fourreau, un poignard, je lui
dis :
— Comment, Marquise, vous portez toujours une
arme ?
— Constamment. Je vis seule en mas isolé, mes valets ne
couchent pas céans et de reste ils seraient trop couards pour me secourir. Or
nous avons dans les Corbières des caïmans de grands chemins qui forcent filles,
tuent, pillent et mettent le feu au mas qu’ils viennent ainsi de saccager.
C’est pourquoi j’ai deux pistolets chargés et deux arquebuses constamment
chargées elles aussi, afin de me défendre, et pour que nul n’en ignore, je
m’exerce au tir en public. Étant au surplus une des rares femmes à la ronde qui
ait quelques attraits, je serais en butte aussi à quelques effrontés galants
qui pourraient user envers moi de brutalité, s’ils ne savaient pas que je sais
jouer du poignard.
— Diantre ! Voilà qui est bien menaçant !
dis-je. Et si je vous prenais tout soudain dans mes bras, oseriez-vous me
poignarder ?
— Certainement, duc ! dit-elle avec un petit rire
charmant. Mais considérant que vous portez une blanche colombe sur votre croix
de Malte, je ne vous ferais qu’une légère
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