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Le Glaive Et Les Amours

Le Glaive Et Les Amours

Titel: Le Glaive Et Les Amours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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qui tombait sur le surplis.
    Dès que j’eus fléchi le genou devant lui, Richelieu me dit
d’une voix faible, mais ferme :
    — Duc, étant donné mon état, je ne peux vous consacrer
que peu de temps. Voici ma question : avez-vous, comme je vous l’ai
demandé, appris l’espagnol ?
    — Oui, Monseigneur.
    — Et le savez-vous assez pour traiter avec un officier
espagnol la reddition d’une place et les conditions de cette reddition ?
    — J’en suis bien assuré, dis-je d’une voix ferme, alors
même que je n’en étais pas bien sûr en moi-même.
    Mais je connaissais bien Richelieu. Et je savais qu’ayant
une immense confiance en soi, il ne pouvait souffrir chez ses serviteurs qu’ils
fussent modestes ou hésitants…
    — Duc, reprit-il, voilà qui va bien. J’aimerais donc
que vous partiez dans l’instant avec nos mousquetaires retrouver le roi à
Sigean. Bouthillier vous remettra un nouveau boursicot de pécunes pour vos
frais. Mon cousin, je vous souhaite bonne route.
    Au contraire du roi qui y était tenu par le protocole,
Richelieu n’appelait presque jamais « mon cousin » les pairs et les
maréchaux. C’était donc là un honneur particulier qu’il me faisait.
    Je le saluai en fléchissant le genou (mais sans toucher
terre, comme j’eusse fait pour le roi) et me relevant, je lui jetai un discret
regard, et j’en fus fort déconsolé tant son visage me parut creux et blême.
Va-t-il mourir ? m’apensai-je, et quelle immense perte ce serait pour le
roi et le royaume !
    Court était le chemin de Narbonne à Sigean, et ne voulant
pas apparaître devant le roi en état de famine (ne sachant si dans le trouble
de sa maladie il songerait à me nourrir), je fis un petit détour pour visiter
l’abbaye de Fontfroide où les moines, qui ne furent pas chiches en salutations,
me firent visiter le cloître et m’en firent admirer les voûtes dominicales à
huit branches. Elles sont en effet admirables, mais du diantre si j’ai jamais
entendu pourquoi on appelle cette partie d’une abbaye « cloître »,
alors que c’est la seule qui admette à flot l’air et le soleil.
    Les moines me donnèrent, si je puis dire
« donner », un repas que je trouvai très frugal, et dont je me
demandais si c’était bien celui dont ils se contentaient à l’ordinaire, car ils
avaient tous bonne trogne et ventre bedondainant. Silencieusement, et si j’ose
dire pieusement, ils posèrent, mon repas fini, une bourse de quête à côté de
mon assiette. En y jetant un œil, je vis qu’elle était pleine de pièces d’or,
auxquelles j’entendis bien que j’étais tacitement invité à ajouter, moi aussi,
un écu. Comment penser que je pusse faire moins, étant non seulement duc et
pair, mais chevalier du Saint-Esprit ?
    Autant le palais de Richelieu à Narbonne m’avait laissé
indifférent, autant me plut le site de Sigean, tout rustique qu’il fut. La
petite ville s’élevait au bord d’un lac marin, alimenté d’eau de mer par un
goulet qui malheureusement n’était pas assez large pour admettre un bateau.
S’il l’avait été, quel merveilleux mouillage c’eût été pour les bateaux de
pêche des habitants. Cependant, les Sigeanais, gens fort astucieux, trouvèrent
un usage à ce lac. Ils aménagèrent sur ses bords des marais salants.
    La journée était tiède et le soleil voilé, et je vis Louis
étendu en plein air sur un lit de camp, les deux mains placées sur son ventre
comme s’il le doulait. Cela me donna à penser qu’il pâtissait du même mal qui
avait failli l’emporter à Lyon, et dont il n’avait été sauvé que parce que
l’abcès de son intestin s’était crevé de soi et s’était évacué avec beaucoup de
sang par « la porte de derrière », comme disaient pudiquement
les médecins.
    — Ah, Sioac  ! dit-il à ma vue, je suis bien
aise de vous voir. J’ai bien besoin de vous. Nous n’allons pas tarder à mettre
le siège devant Perpignan et nous comptons réduire la ville par la famine. Vous
aurez à traiter avec les Espagnols pour les engager à capituler. La ville est
habitée par des Catalans qui nous sont favorables, mais défendue par une
garnison espagnole qui hait et les Français et les Catalans. Perpignan, selon
nos dispositions, sera prise comme La Rochelle par la famine. Cependant, comme
l’Espagnol arrive encore à ravitailler la ville en débarquant les vivres à
Collioure, il faudra de toute évidence prendre de prime

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