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Le Glaive Et Les Amours

Le Glaive Et Les Amours

Titel: Le Glaive Et Les Amours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Collioure.
    J’envisageai Louis tout en l’écoutant, et je fus surpris par
sa maigreur, sa pâleur et l’altération de ses traits.
    — Sire, dis-je, peux-je vous demander comment vous
allez après ce longuissime voyage de Paris à Sigean ?
    — En vérité, dit Louis avec un pâle sourire, toute ma
crainte était que je n’eusse pas assez de force pour supporter la fatigue de ce
long voyage. J’y suis parvenu, pourtant, mais en si mauvais point que je serais
désolé de quitter ce monde avant d’avoir repris le Roussillon aux Espagnols.
Quant à quitter ce monde à Paris ou à Perpignan, peu me chaut.
    Ces paroles me glacèrent le cœur, tant à parler ainsi de la
mort il était clair que Louis la pressentait. J’en fus d’autant plus chaffourré
de chagrin que le cardinal m’avait tenu à Narbonne à peu près le même langage.
Et c’est avec une anxiété qui ne se peut dire que je me demandais si ces deux
fortes colonnes qui soutenaient l’État n’allaient pas s’écrouler dans le même
temps, laissant place aux ambitions déchaînées, aux folles entreprises des
Grands, aux complots des dévots, plongeant alors le royaume dans une anarchie
dont il pourrait difficilement se relever, car cette faiblesse serait aussitôt
exploitée par l’Espagne et par les Impériaux.
    Toutefois, Louis parut se réveiller de ses tristes pensées
et me dit d’une voix plus ferme :
    — La ville de Collioure ne pose pas de problème, mais
son château en pose un, étant fort solidement bâti sur la pierre. Je pars
demain avec le maréchal de La Meilleraye et voudrais que vous fussiez du
voyage, ayant besoin de votre truchement pour parlementer avec les Espagnols.
    Ayant pris congé de Sa Majesté, je me cherchai un logement
pour la nuit car la neige, en plein mois de mars, s’était mise à tomber, et je
ne me voyais pas demander à mon escorte de planter ses tentes sous les flocons.
À’steure, les officiers du logement avaient tout raflé pour l’armée. J’aperçus
cependant, en m’éloignant quelque peu du rivage, un beau et grand mas, à l’huis
duquel je commandai à Nicolas d’aller toquer. Ce qu’il fit, mais l’huis ne
s’entrebâilla que pour se refermer violemment avec un claquement, suivi
aussitôt par de furieux aboiements de chiens.
    — Laisse, Nicolas, dis-je. Je veux voir si je peux
faire mieux.
    Là-dessus, je toquai de nouveau à l’huis et je dis :
    — Madame, de grâce, n’ayez aucune crainte. Je suis le duc
d’Orbieu, membre du Grand Conseil du roi et chevalier de l’ordre du
Saint-Esprit. Je ne veux pour moi, et ma douzaine de mousquetaires du roi, que
le gîte d’une nuit.
    Dans l’huis s’ouvrit alors une petite fenêtre grillagée, par
laquelle deux yeux noirs me dévisagèrent assez longuement, tandis qu’un
pistolet était braqué sur mon visage. Puis le pistolet disparut et l’huis
s’entrebâilla.
    — Monseigneur, dit la dame, entrez, mais entrez seul
avec votre valet.
    J’entrai, et jamais face ne fut plus attentivement scrutée
et étudiée que la mienne. Toutefois, ce que la dame en vit parut la rassurer
car elle dit en baissant la voix :
    — Monseigneur, votre escorte logera dans la deuxième
écurie, la première étant réservée à mes chevaux. Qu’ils y aillent de soi. Je
leur ferai porter à manger. Vous-même et votre valet dormirez céans.
    Elle envoya là-dessus l’un des siens montrer à mon escorte
« la deuxième écurie » et nous fit passer dans une grande pièce fort
simplement meublée, mais où brûlait un grand feu qui, rien qu’à le voir, me
rasséréna.
    — Prenez place, dit l’hôtesse fort civilement, mais
avec encore un reste de méfiance.
    Deux chambrières vinrent alors mettre le couvert, lequel,
dans ce milieu campagnard, m’étonna, tant il était beau et raffiné. J’en
complimentai mon hôtesse qui sourit et dit :
    — Il me vient de mon défunt mari, le marquis de Sigean.
Le mas que voici était notre maison des champs, et je suis bien aise de
l’habiter quand le temps devient tracasseux, car il est à l’abri à la fois de
la tramontane et des tempêtes de la Méditerranée.
    Là-dessus, remarquant que les chambrières, tout en me jetant
en tapinois de vifs petits regards, n’avaient mis que deux couverts, je tirai
doucement la marquise à part et je lui dis sotto voce :
    —  Madame, Nicolas n’est pas mon valet, mais mon
écuyer, et il est noble.
    — Je n’en doute pas, dit-elle, d’autant

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