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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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reprendre son
ancienne énergie. Je la trouvai sujette à une langueur
dont elle n’était pas coutumière. Cependant, Brézé,
Dunois, les Bureau, tous ses protégés du Conseil la
priaient d’intervenir auprès du roi pour le décider à la
guerre. Elle ne parvenait pas à s’y résoudre ; mon retour
l’encouragea.
    J’étais rentré plein d’enthousiasme, exalté par mon
séjour romain. En passant par Bourges, j’avais constaté
avec bonheur que les travaux de mon palais progressaient. J’ordonnai quelques modifications qui m’avaient
été inspirées par mes visites à diverses demeures de
Rome. L’idée m’était aussi venue de faire installer un
bain de vapeur comme j’en avais rencontré en Orient.
Macé eut un peu de mal à se laisser convaincre. Mais
c’était là une fantaisie privée, invisible pour les personnes extérieures et qui n’affecterait en rien notre
réputation. À cette condition, elle accepta.
    Je passai ensuite par Tours, avant de rejoindre la cour.
Il me fallut sacrifier d’abord aux diverses rencontres de
travail qu’exigeait l’Argenterie. Mais dès que j’eus un
instant, je filai voir Fouquet pour lui parler des peintres
que j’avais découverts à Rome. Ce fut lui qui, le premier,
m’alerta sur l’état d’Agnès. Pendant mon absence, il
l’avait rencontrée assez souvent et était parvenu à ses
fins : elle avait accepté qu’il fît son portrait. Il avait multiplié les ébauches mais ne savait pas encore exactement
comment la représenter. Sa beauté le fascinait toujours,
mais en homme habitué à scruter les visages, il avait
remarqué chez elle une gravité nouvelle. À vrai dire, ce
n’était que l’exacerbation d’une qualité qu’il avait toujours perçue en elle. Cependant, jusqu’alors, cette tonalité de fond transparaissait à peine, dissimulée par les
vives couleurs de la gaieté.
    Désormais, cette gravité était apparente aux yeux de
tous. Les efforts d’Agnès pour se montrer joyeuse dissipaient pour quelque temps ces nuages, mais ils réapparaissaient bien vite. Tous les dessins d’elle que Fouquet
me montra la représentaient la tête légèrement penchée
en avant, les yeux baissés, la bouche close.
    Il avait disposé ses esquisses sur une table et nous les
regardions en silence. Le malaise que je ressentais en
voyant ces images était vague, inexpliqué. Et soudain, je
compris : c’était le visage d’un gisant, un masque de
mort. Je levai les yeux vers Fouquet et vis que les siens
étaient gonflés de larmes. Il haussa les épaules et ramassa
les documents en bougonnant.
    Quand je rejoignis enfin la cour et trouvai Agnès, je
notai sa satisfaction de me revoir. Mais elle ne la manifesta pas comme à l’accoutumée. Même seule dans ses
appartements, elle semblait craindre d’être découverte.
Nous conversâmes avec une perceptible gêne. Pour lui
rendre la tâche plus facile, je quittai rapidement le
registre personnel et passai à la question de la guerre.
Je lui dis que le pillage de Fougères était à mes yeux
providentiel. Il fallait en profiter pour terminer le travail
de reconquête et en finir avec le danger anglais. Mon
enthousiasme sembla d’abord réveiller le sien. Mais très
vite, son regard se voila. Elle me rappela les attaques du
dauphin contre Brézé, l’année précédente, par le moyen
d’un misérable espion nommé Mariette, que j’avais fait
emprisonner. Selon elle, le dauphin n’avait pas renoncé
à tendre ses pièges diaboliques pour la discréditer. Le
moyen de l’atteindre était toujours pour lui de viserceux qu’elle soutenait. Cette affaire anglaise n’était-elle
pas encore une provocation ? Je ne voyais pas en quoi,
depuis son lointain Dauphiné, Louis aurait pu raviver la
guerre avec l’Angleterre ni dans quel but. Agnès avoua
que j’avais raison mais, aussitôt, fondit presque en
larmes. Elle était nerveuse, voyait des dangers partout, contre toute vraisemblance. Finalement, nous
convînmes qu’il fallait agir, chacun avec ses moyens. Elle
me dit qu’à son avis, le mieux était qu’elle persuade
d’abord la reine et qu’ensemble elles aillent exhorter
Charles à engager le combat. L’idée n’était pas mauvaise. Elle éviterait de faire de la guerre l’affaire d’un
parti, celui d’Agnès, ce qui aurait pour effet de jeter tous
ceux qui la jalousaient dans l’opinion contraire.
    J’allai, quant à moi, trouver le roi dès le lendemain et
nous eûmes un long

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