Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Rufin
Vom Netzwerk:
Francesco Sforza.
Tout cela exigeait beaucoup d’argent, le soutien du roi
de France et celui de la maison d’Orléans, héritière
des droits des Visconti sur Milan. Fin connaisseur des
affaires italiennes, le pape me donna des conseils sur lamanière d’agir. Si nous fournissions au jeune duc de
Savoie les moyens de mener sa guerre sous condition
que son père renonce à la papauté, il serait certainement possible de fléchir le vieil Amédée.
    Je suivis ces conseils et m’en trouvai satisfait. Les nouvelles missions que j’exécutai par la suite, directement
ou indirectement, auprès de l’antipape furent beaucoup
plus fructueuses dès lors que je les plaçai sur le terrain
de l’argent et non sur celui, bien étranger à l’affaire, de
la théologie.
    D’ailleurs, pour conclure la négociation avec l’antipape, notamment sur la question du Milanais et de sa
conquête, le roi, sur la foi des renseignements que je lui
rapportai, jugea bon de désigner Dunois. Celui-ci sut
parler à Amédée le langage tout cru de la guerre et aida
le duc de Savoie à organiser son armée. C’était décidément l’homme qu’il fallait pour mettre fin au schisme...
    Cette visite à Rome me fut ainsi triplement profitable.
J’y découvris les moyens de dénouer la crise de la chrétienté et, en effet, l’antipape abdiqua dès le début de
l’année suivante. Je nouai avec la maison de Savoie des
liens plus étroits encore que par le passé par le biais
d’un prêt à des conditions pour moi très favorables.
Enfin et surtout, je devins l’ami du pape.
    Heureux de nos échanges et voyant que j’adhérais à
ses propositions, Nicolas V m’accorda toutes les faveurs
que je lui demandai. J’obtins l’autorisation d’autel portatif pour Agnès et en commandai un en or incrusté
de rubis chez des artisans du Trastevere. Le pape honora
mes interventions en faveur de nombreux protégés.
Enfin, et j’oserai dire surtout, il renouvela et étendit l’indult qui m’autorisait à commercer par voie de mer avecle sultan. Désormais, le congé ne comportait plus de
durée ni de limites quant au nombre de navires. Il me
donnait également licence pour transporter les pèlerins
en Orient. À ma demande, le pape y ajouta le droit d’exporter des armes, au titre de cadeau du roi de France.
Hélas, prudence ou malentendu, Nicolas V ne publia
jamais de bulle sur ce point.
    Mais nos relations ne se bornèrent pas à ces échanges
de bons procédés. Nous savions l’un et l’autre à quoi
nous en tenir sur ces questions. Qui occupe une position de puissance entretient avec la notion d’intérêt des
rapports plus simples que l’ordinaire des gens. À ces
niveaux, on ne peut ignorer que les personnes qui vous
approchent ont toutes quelque chose à solliciter et il n’y
a aucune raison de s’en offusquer. Pour les hommes du
commun, il ne peut y avoir d’amitié, d’amour ni même
de confiance quand se profile l’ombre d’une attente
intéressée. Au contraire, pour les hommes de pouvoir,
la seule manière d’atteindre des relations véritables
est d’aborder franchement le sujet de l’intérêt. Avant
toute chose, ils posent la question : qu’attendez-vous
de moi ? Et de la franchise avec laquelle on leur répond
dépend la possibilité de passer à une étape supérieure
d’intimité.
    Après avoir débattu sans détour les sujets sérieux,
Nicolas V et moi pûmes nous laisser aller à des conversations sans but ni profit qui nous permirent de mieux
nous connaître. Il advint d’ailleurs que la maladie de
circonstance qu’il avait diagnostiquée chez moi finit bel
et bien par me frapper. Je dus demeurer plus longtemps
à Rome que les plénipotentiaires et restai pendant ma
convalescence l’hôte du pape. À le voir chaque jour, jefinis par bien connaître cet homme aux multiples
visages. Il est mort, désormais, et je ne suis plus rien ; je
peux bien dire la vérité, à son sujet comme au mien.
    Il appartenait à ce type de prélats italiens chez lesquels la religion cache surtout une passion profonde
pour l’Antiquité. Nicolas était un lecteur savant des philosophes grecs et romains. Il avait recueilli à Rome
nombre d’érudits qui fuyaient Byzance sur le point de
tomber. Il a toujours affirmé agir pour le bien de l’Église
catholique, recueillant l’héritage oriental, tout comme
il luttait contre le schisme en Occident. Et il est vrai que,
pendant son pontificat, Rome redevint le seul

Weitere Kostenlose Bücher