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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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entretien. Je lui racontai par le
menu mes échanges avec le pape. Nous parlâmes en
détail des affaires italiennes ; il revint sur la mission de
Jean de Villages au Soudan. Tout cela le passionnait et
une grande jouissance se lisait sur son visage quand il
évoquait ces sujets.
    Il manifesta d’autant plus violemment son déplaisir
quand je pris l’initiative de placer la conversation sur le
terrain de l’Angleterre. La chaleur de juin avait beau
entrer par la fenêtre, avec un brillant soleil, Charles se
mit à frissonner. D’une main, il resserra son col et s’enfonça dans son fauteuil. Il écouta les arguments que je
lui assenai, puis il protesta faiblement, en parlant du roi
d’Angleterre.
    — Henri est notre parent, désormais. La fille de René
fait merveille, paraît-il, pour le garder de reprendre la
guerre.
    — En effet, et beaucoup là-bas le blâment pour cette
faiblesse.
    — Les Anglais ont tenu leurs engagements malgré
tout. Les trêves ont duré.
    — N’oubliez pas qu’il a fallu envoyer Dunois et une
armée pour reprendre Le Mans, qu’ils s’étaient engagés
à évacuer.
    — Le Régent d’Angleterre dans leurs provinces de
par ici s’est excusé, pour cette affaire de Fougères. C’est
un soudard aragonais, paraît-il, qui a pris la liberté...
    — Sire, le coupai-je en saisissant sa main, peu importe
la réalité des choses. Le prétexte est là, tout trouvé. Vous
allez gagner. Maintenant, vous avez la force, les armes,
l’argent.
    Charles retira sa main et m’interpella sur ce mot.
    — L’argent, dites-vous ?
    Il y eut un long silence. Ses yeux ardents me
scrutaient.
    — Une telle campagne coûtera cher, reprit-il. Même
si j’ai les moyens désormais d’entretenir une armée permanente sans recourir aux princes, c’est autre chose de
la payer en campagne...
    Il me fixait toujours.
    — L’argent, répondis-je enfin, un peu trop tard peut-être, ne sera pas une question. Vous savez que tout ce
qui est à moi est à vous.
    Ces formules creuses, dont on use sans crainte en
Orient parce que nul ne se risquerait à leur donner
créance, sonnaient différemment aux oreilles d’un
homme comme Charles. Il opina et je me demandai si
je n’avais pas versé en son esprit un poison qui serait
un jour mortel pour moi. Il détacha son regard demon visage et le perdit dans la clarté opalescente de la
croisée.
    — Combien cela peut-il coûter, une campagne de ce
genre ? Mettons que nous y jetions tous nos moyens et
que l’affaire dure jusqu’à l’hiver... Trois cent mille...
non, non... je dirais plutôt quatre cent mille écus. Me les
bailleriez-vous, messire Cœur ?
    Il s’était de nouveau tourné vers moi et scrutait ma
réaction. C’était la pire question qui me fût jamais
posée. Si je répondais non, j’étais rebelle à mon roi et il
ne me le pardonnerait pas. Si je répondais oui, l’énormité de la somme révélerait du même coup l’étendue
de ma fortune. Le roi connaissait mal les questions de
finances. Cependant on les évoquait au Conseil et son
intendant général l’informait régulièrement de l’état de
son Trésor. Il savait que j’étais riche et il n’ignorait pas
non plus que c’était en partie grâce aux charges qu’il
m’avait octroyées. Mais là, pour la première fois, ce que
nous savions l’un et l’autre sans l’évoquer jamais allait
apparaître au grand jour, à travers ma réponse : j’étais
plus riche que lui, plus riche que l’État.
    — Oui, répondis-je en m’inclinant.
    Ce mot, je le sus en le prononçant, scellait mon destin.
Il ne fait pas bon disputer la puissance à de tels hommes.
Il ne cilla pas, mais j’eus l’impression d’entendre mes
paroles tomber dans les fonds les plus noirs de son
esprit. Il me remercia, avec un sourire froid. Puis il me
dit qu’il allait réfléchir.
    Les jours suivants, il reprit sa bonne humeur. Quand
la reine, accompagnée d’Agnès et d’autres femmes de
sa suite, vint joyeusement lui proposer de briller devant
les dames en prenant la tête de ses armées et en chassant la canaille anglaise, il rit de façon assez vaniteuse.
On voyait en tout cas que le défi ne lui déplaisait plus.
Nous nous déplaçâmes aux Roches-Tranchelion, à peu
de distance de Chinon, car c’était là que le roi avait
décidé de tenir le Grand Conseil. Les avis furent unanimes, quoiqu’on pût déceler dans l’assemblée deux
groupes de personnages. Certains, pour la

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