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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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moi. Elle avait bien
moins de titres à inspirer sa confiance, et pourtant, il
l’avait écoutée. Pourquoi ? Parce qu’elle avait touché en
lui la corde de l’orgueil et de la faiblesse, ce ressort
caché et mystérieux qui persuadait cet homme étrange
qu’il était tout mais qu’il ne pouvait rien. Elle lui avait
dit simplement ceci : vous êtes le roi de France. Et cette
seule évidence les avait conduits jusqu’à Reims, pour le
couronner.
    — Oui, répétai-je, vous apporterez la prospérité à ce
royaume.
    Je marquai un temps de silence. Le roi déglutit bruyamment, comme s’il venait d’absorber le dictame de mes
paroles et qu’il en attendît l’effet. Je le vis se redresser,
fixer l’obscurité devant lui et, sur le ton de quelqu’un qui
est déjà en route vers ses rêves, il me demanda :
    — Comment ?
    Alors je lui expliquai. Je lui dis tout ce que j’avais
caché à mes associés car ils étaient, eux, impuissants àrien changer en ces affaires. Je lui parlai de la France
coupée en trois, les terres de l’Anglais où s’incluait Paris,
celles du duc de Bourgogne et les siennes du Berry au
Languedoc. Chaque zone tournait le dos aux autres et le
mouvement des hommes et des choses ne se faisait pas
entre elles. Il était le seul, en acceptant la paix, à pouvoir rétablir les communications de ces trois morceaux
de France. Le pays allait alors redevenir un lieu
d’échange vers lequel convergeraient les produits du
monde entier, de l’Écosse comme de Florence, d’Espagne comme de l’Orient.
    — Cette guerre qui dure depuis plus d’un siècle, Sire,
vous allez la terminer. Ce ne sera pas une trêve de plus.
La paix n’est pas la suspension de la guerre. La paix,
c’est l’industrie des hommes, c’est le mouvement des
marchandises, c’est l’essor des villes et des foires.
    — Vous parlez en marchand que vous êtes, coupa-t-il,
soudain méprisant.
    Pour la première fois, et ce fut la seule, j’eus un mouvement d’humeur.
    — Je déteste les marchands, Sire ! Ils ne pensent qu’à
leur profit en toutes circonstances et s’accommodent de
la pénurie, pourvu qu’ils puissent augmenter leurs prix.
Moi, ce que je veux, c’est l’abondance. Je veux créer la
richesse par le mouvement, par l’échange. Je veux que
convergent vers nous les caravanes qui apportent les
meilleurs ouvrages de toutes les contrées du monde.
    Il se tassa dans son siège, en prenant l’air boudeur
d’un élève réprimandé. Il recommença à froncer le nez
et à en titiller le bout avec son doigt.
    — À l’heure actuelle, poursuivis-je, c’est vers l’Orient
qu’elles convergent. Je les ai vues. La disposition de cesrichesses a créé une civilisation raffinée là-bas. Plus
raffinée que la nôtre, et nos chevaliers qui pourrissent
de crasse sous leurs armures ne l’ont pas compris.
    — « Qui pourrissent de crasse. » Hé, Hé ! C’est bien dit.
    Mais je ne portais plus d’attention aux réactions du
roi. Il fallait que je continue jusqu’au bout.
    — Ils allaient là-bas pour prendre alors qu’il leur
fallait plutôt apprendre. L’Orient est riche et savant.
Nous pouvons nous enrichir à son imitation. Il n’est pas
seulement question de l’égaler : nous pouvons faire
mieux. Je suis convaincu que l’Orient est en déclin. Il
est immobile dans sa prospérité. Si nous étudions ses
méthodes, si nous rapportons ses techniques et son
savoir, et si nous avons la paix, je ne doute pas que nous
puissions le dépasser.
    Malgré moi, je m’étais un peu exalté et le roi éprouva
le besoin de me remettre sur la main.
    — Messire Cœur, qu’êtes-vous exactement venu me
proposer ?
    Je posai mes paumes sur mes genoux et pris une profonde inspiration.
    — J’ai créé une maison de négoce avec l’Orient.
Nous avons des relais dans de nombreuses régions y
compris en Bourgogne, en Flandres et jusqu’à Rouen.
Que la paix arrive et les difficultés de communication
vont s’atténuer.
    — C’est fort beau et en quoi cela me concerne-t-il, à
part la question de la paix, dont j’ai bien pris la mesure ?
    — Sire, cette maison est à vous. Donnez-lui votre protection et elle prendra la dimension du royaume. Ce
que nous faisons en petit, vous nous donneriez la possibilité de l’accomplir en grand.
    Le roi éternua et s’essuya le nez dans le revers de sa
manche. Ses yeux brillaient sans que je susse si c’était la
mention du profit qui l’excitait

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