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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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livrait chaque jour le tribut que l’on prélevait
sur la ville au nom du roi ? Je dus faire renforcer la garde
de l’atelier et organiser des escortes fortement armées
pour accompagner les coffres remplis des pièces que je
faisais parvenir au roi, là où il se trouvait. Nous eûmes à
repousser une attaque en pleine nuit sans parvenir
jamais à savoir qui l’avait organisée. Je n’eus aucun mal,
compte tenu du nombre de maisons vides et fermées,
à en trouver une à louer dans les parages immédiats de
l’atelier. Je m’y faisais servir par une vieille cousine de
Roch. Deux dogues, dans la cour, goûtaient ma nourriture pour m’éviter le poison.
    Ce fut le moment d’un douloureux retour sur une
situation présente. Cette réflexion fut hâtée par la visite
surprise de Jean de Villages. Entre deux déplacements il
vint à Paris m’apporter des nouvelles de notre affaire.
Elle prospérait. Jean avait installé des facteurs ou de
simples correspondants dans une quinzaine de villes. Il
était capable de faire circuler des cargaisons de draps,
d’orfèvrerie, de peaux et de bien d’autres choses à travers tout le royaume et jusqu’à l’Angleterre et aux villes
de la Hanse. Guillaume avait expédié un deuxième chargement vers l’Orient et il attendait sous peu le retour du
premier. Les profits étaient considérables. Les facteurs,
après s’être payés, avaient ordre de les réinvestir. Jean
était hâlé par ses chevauchées au grand air entre les
villes. Je le voyais excité par l’aventure, le risque et le
succès. Malgré l’incertitude des chemins, il n’avait perdu
qu’une seule livraison et encore, avec ses soudards, il
s’était mis en chasse des voleurs et avait récupéré sur
eux un butin équivalent à ce qu’ils avaient dérobé. Je lui
donnai tout le surplus de numéraire que nos activités de
monnayeur m’avaient permis d’épargner afin qu’il s’en
serve pour accroître notre capacité d’achat, et il repartit.
Il me laissa très abattu. J’avais le sentiment d’avoir fait
un marché de dupes. En m’approchant du roi, je comptais placer notre entreprise sous sa protection et la
hausser jusqu’à l’ambition que j’avais pour elle. Au lieu
de quoi, il m’avait fait une faveur partielle qui, pour être
provisoire, ne m’en éloignait pas moins de mes affaires.
Tandis que mes associés sentaient le vent des routes ou
les embruns de la mer, j’étais enfermé dans cette ville
malade à fondre des cuillers et à partager ma nourriture
avec des dogues.
    J’étais loin de ma famille. Macé m’écrivait. Elle était
tout absorbée par les enfants dont elle me donnait des
nouvelles. Je lui faisais tenir de l’argent en quantité. Ce
fut le début d’un échange inégal et mortel : je payais
mon absence et mon éloignement à un prix qui me semblait suffisamment élevé pour racheter mes fautes. Ainsi
le matériel prenait peu à peu la place du sentiment.
Mais si, en quantité, les poids pouvaient peut-être secomparer, en qualité il n’en était rien. À cette époque
pourtant, je m’en rendais encore compte et je me sentais coupable. À mesure que d’autres présences allaient
combler, si imparfaitement que ce fût, l’absence de ma
famille, je m’en soucierais moins.
    J’ai dit que les occasions de trahir Macé ne me manquaient pas. Le désir non plus. Mais ils ne se réunissaient pas. Jusqu’au jour où je reçus la visite de
Christine.
    Elle arriva à l’atelier par hasard, du moins c’est ce
qu’elle déclara. Son histoire était bouleversante. Fille
d’excellente famille, élevée avec soin, elle s’était trouvée orpheline après l’épidémie de petite vérole qui avait
frappé la ville quelques années plus tôt. Au désespoir,
elle avait cédé aux avances d’un de ses lointains cousins qui voulait l’épouser. Elle accepta quoiqu’il ne lui
plût pas. Elle mentionnait son goût propre en baissant
les yeux de façon charmante et en rougissant. Avouer
qu’elle pût avoir en cette matière des préférences, c’était
révéler qu’elle avait des désirs, et les sœurs lui avaient
persuadé que c’était mal...
    Le couple s’était installé dans la rue voisine de l’atelier. Hélas, son mari s’était beaucoup compromis avec
les Anglais et avait fui avec eux, en promettant de lui
envoyer des secours. Il lui avait demandé de rester à
Paris pour veiller sur leurs biens. Elle devait bientôt
découvrir qu’il avait menti. Des

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