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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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des
choses. Après tout, il était noble. Dans l’immédiat, de
toute manière, j’étais trop démuni pour pouvoir faire
quoi que ce fût en sa faveur. En revanche, il pouvait
m’aider. Je l’interrogeai sur la cour, la situation politique
dans la capitale et la suite des opérations de guerre. Il
m’expliqua que les Anglais n’étaient pas partis très loin,
qu’ils avaient attaqué Saint-Germain-en-Laye et qu’il
allait falloir se battre encore. Sur la capitale, il portait un
jugement sévère et ne paraissait pas accessible à la pitié
que me semblait mériter cette ville martyrisée.
    — Ils vont payer, maintenant, me dit-il, en parlant des
Parisiens.
    Quant à la situation politique, elle suscitait en lui
beaucoup d’amertume.
    — Nous sommes désormais amis des Bourguignons,grinça-t-il. Tout est oublié, n’est-ce pas ? Même l’assassinat de mon père.
    Je compris à cet instant qu’il était le fils de Louis
d’Orléans dont mon père nous avait rapporté le meurtre
pendant l’hiver du léopard.
    — Mon frère est toujours aux mains des Anglais, mais
cela ne semble préoccuper personne.
    Charles d’Orléans avait pris les armes pour venger son
père et il était prisonnier depuis le désastre d’Azincourt.
    Ainsi l’homme avec lequel je venais de faire connaissance était le fameux bâtard d’Orléans, compagnon de
Jeanne d’Arc et vaillant capitaine dont les faits d’armes
étaient célèbres dans tout le pays. Avec ses yeux bleus
et son air de jouvenceau, il me plut. Il y a toujours chez
les hommes de guerre quelque chose de direct qu’ils
tiennent peut-être de leur habitude de donner la mort.
Il faut, pour frapper quelqu’un, même au combat, se
libérer d’un poids de civilisation qui enferme la plupart
d’entre nous dans la fausseté et une douceur forcée. Cet
écran ôté, c’est la vraie nature de l’homme qui se révèle.
La plupart du temps, ce sont des âmes frustes qui sortent
de cette bogue, des caractères violents de soudards. Mais
il arrive que, dépouillé de tout artifice social, apparaisse
une nature simple et presque tendre, un être pur avec
des émois d’enfant et des délicatesses de manières que
dicte un respect sincère des autres. Ainsi m’apparut celui qu’on appelait pour peu de temps encore le
bâtard d’Orléans. Quand il prit congé, j’eus le sentiment d’avoir découvert une pierre précieuse dans toute
la boue de cette cour.
    *
    Je n’étais guère plus avancé pour autant. Passé le
temps des festivités, la vie était redevenue ce qu’elle
avait été à Paris ces dernières années : difficile et violente. Tout était cher et rare, à commencer par la
nourriture, et ceci d’autant plus que les opérations militaires continuaient autour de la capitale comme me
l’avait dit le bâtard d’Orléans. J’avais écrit à Ravand pour
lui demander de m’envoyer du matériel de monnayage,
mais je n’avais pas encore reçu de réponse. J’espérais
au moins disposer d’un peu de temps avant qu’on
réclame de moi la première production monétaire. Je
n’étais pas installé depuis quatre jours qu’un matin
deux charrettes escortées par des gardes du prévôt
s’arrêtèrent devant mon atelier. Elles étaient remplies
d’objets à fondre. Chandeliers, vaisselle, bijoux étaient
entassés dans les tombereaux et les gardes les déchargèrent en vrac au milieu de ma cour. Une haie de
badauds aux visages hostiles observaient les opérations. J’appris un peu plus tard qu’en remerciement de
l’accueil triomphal qui lui avait été réservé, le roi avait
ordonné que les confiscations prennent effet immédiatement. Les églises étaient pillées, les demeures particulières visitées, et quiconque était pris à cacher ses
richesses risquait sa tête.
    Tout ce que je pouvais espérer, c’était que cette ville
exsangue n’eût plus grand-chose à réquisitionner. Quant
à ce qui était déjà pris et s’entassait chez moi, il me fallait le fondre au plus vite.
    Heureusement, il s’avéra que Roch, le vieil ouvrier,
était un habile contremaître. Il connaissait beaucoup
d’anciens employés de l’atelier qui l’avaient désertéfaute d’ouvrage. Au bout d’une semaine, nous étions
près de quinze, y compris les commis et les gardiens.
Nous réutilisâmes d’anciens moules en retouchant les
inscriptions : Charles VII remplaça Henri VI. Le bricolage donnait Chenrl VII mais nul ne s’en formaliserait.
    Nos

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